Wanuri Kahiu, celle qui risque la prison à son retour de Cannes

À 38 ans, Wanuri Kahiu a présenté ce mercredi 9 mai Rafiki, une histoire d'amour entre jeunes adolescentes. Interdit de diffusion au Kenya, il est aussi le premier film kenyan en compétition au Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard.

 

Wanuri Kahiu n'est pas une réalisatrice comme les autres. À 38 ans, elle porte Rafiki, le premier film kenyan présenté lors du Festival de Cannes. Pour ce long-métrage en compétition dans la catégorie Un Certain Regard, interdit de diffusion au Kenya, elle risque la prison dans son pays natal. En cause ? Sa promotion présumée du «lesbianisme», d'après le Comité national kényan de classification des films. En effet, au Kenya, l'homosexualité est illégale et peut être punie de quatorze années d'emprisonnement. Un risque qu'encourt la trentenaire.

Récompensée en 2009

Wanuri Kahiu naît en 1980 à Nairobi, capitale du Kenya, et est bercée dès son plus jeune âge par les histoires abracabrantesques que sa mère, pédiatre, lui conte. Son père, quant à lui, est un homme d'affaires. Très vite, la jeune fille se passionne pour la lecture, la télévision et le cinéma. Mais dans sa famille, les filières artistiques ne sont pas à proprement parler des voies professionnelles viables.

Pour rassurer ses parents, Wanuri Kahiu entame de solides études de commerce. Son goût pour les histoires la rattrape néanmoins. À 16 ans, elle s'envole vers Los Angeles, et apprend les rouages du cinéma sur des tournages hollywoodiens, confie-t-elle au micro d'Augustin Trapenard(France Inter). Ce qui ne l'empêche pas, par la suite, d'obtenir une licence en Sciences de la gestion de l'Université de Warwick (21 ans), puis un master en direction de cinéma et télévision de l'Université de Californie (23 ans).

En 2008, elle plonge dans le grand bain. Elle réalise From a Whisper, l'histoire d'une jeune fille qui perd sa mère dans l'attentat terroriste de l'ambassade des États-Unis à Nairobi qui a fait plus de 200 victimes (août 1998). Un premier film remarqué et pour lequel elle remporte cinq prix lors des Africa Movie Academy Awards au Nigeria en 2009, dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur film.

Un an plus tard, elle récidive en réalisant Pumzi, court-métrage de science-fiction projeté au festival du film de Sundance, dans l'Utah. Touche-à-tout, la réalisatrice de documentaires pour une série de la chaîne coréenne MNET, est également l'auteure de deux livres pour enfants (Rusties, The Wooden Camel).

Culture pop africaine Forte de ses expériences, elle co-fonde en 2010 la société de médias Afrobubblegum pour, dit-elle (conférence TED 2017), mettre en avant la culture pop africaine et casser l'image «trop sérieuse» de son pays, constamment dépeint comme un endroit «frappé par la guerre, la pauvreté, la destruction». C'est aussi l'objectif de son long-métrage. «Je voulais raconter une histoire qui vienne changer cette image. Il est fondamental que l’Afrique montre des histoires d’amour auxquelles s’identifier. Il est temps que nous nous voyons comme doux, tendres, enjoués, joyeux», analyse-t-elle dans les colonnes du Monde (2018).

Grâce au cinéma, qu'elle considère au micro de France Inter comme un «véritable outil politique», Wanuri Kahiu, par ailleurs mère de deux jeunes enfants, espère «participer au renouvellement de l'image que l'on se fait du continent africain». Yes, she Cannes.

 

Source: madame.lefigaro.fr