Naomi Campbell plaide pour la création d`un Vogue Africa et crée le débat

La mode africaine a-t-elle besoin de Vogue ? La question fait débat suite à l’appel du mannequin anglais pour la création d’une édition du magazine qui célébrerait la création africaine. Une requête qu’elle n’est pas la seule à avoir exprimée ces dernières années.

La semaine dernière, le top model britannique, Naomi Campbell, était de passage au Nigeria où elle a défilé au cours de la Arise Fashion Week, grand raout de la mode qui se déroulait du 30 mars au 2 avril 2018 à Lagos pour la première fois depuis six ans. Le mannequin en a alors profité pour saluer la contribution des créateurs africains à l’industrie de la mode internationale mais aussi formuler une requête. « Il est temps que naisse un Vogue Afrique. Le Vogue Arabie existe désormais. La logique voudrait que l’Afrique suive. Ce continent n’a jamais eu l’opportunité de faire valoir sa contribution à la mode internationale, de voir ses tissus et ses créations adoubées par le monde entier », a déclaré le top model dans une interview accordée à Reuters dimanche dernier.

« Les gens réalisent enfin que votre niveau de compétence n’a pas grand-chose à voir avec votre couleur de peau », a-t-elle encore expliqué, faisant implicitement référence à Edward Enninful, britannique d’origine ghanéenne qui, le 10 avril 2017, s’est retrouvé propulsé à la tête de l’édition britannique de Vogue. Soit le premier Noir et le premier homme à prendre les rênes du magazine. Sans oublier l’arrivée, fin mars, de Virgil Abloh, créateur américain d’origine également ghanéenne aux manettes des collections de prêt-à-porter masculin chez Louis Vuitton.

Précédentes tentatives d’un « Vogue Africa »

Mais Naomi Campbell prend le train en marche. Depuis près de dix ans, le photographe et maquilleur professionnel camerounais Mario Epanya, basé à Paris, ne cesse de mettre en avant la création d’une édition similaire à travers la création de groupes Facebook, mais surtout la réalisation de couvertures estampillées « Vogue Africa » qu’il a eu l’occasion de voir exposées à deux reprises (au Brésil et aux États-Unis). Dès lors, les interviews se sont enchaînées pour cet habitué des shows de haute couture.  En 2010, il est même interrogé sur la question par Vogue Italie. Et cela, peu avant la naissance de Black Vogue, petite révolution qui ne semble pas faire grand bruit (créée à l’initiative de l’ancienne rédactrice en chef de l’édition italienne, Franca Sozzani, qui appelait déjà à la création d’un Vogue dédié à l’Afrique). « Vogue n’est pas seulement un magazine, c’est un univers et une institution au sein desquels les acteurs de la mode africaine et de la diaspora ont toute leur place », clame Mario Epanya, auprès de Jeune Afrique, sans doute galvanisé par la récente sortie de Naomi Campbell, mannequin qu’il vénère. J’ai eu pour toute réponse que, finalement, Vogue Africa n’avait pas lieu d’être parce que le marché africain n’est pas porteur », souligne Mario Epanya Au début des années 2010, un entretien avec le président de Condé Nast France s’offre à lui mais ne se concrétise pas. « J’ai eu pour toute réponse que, finalement, Vogue Africa n’avait pas lieu d’être parce que le marché africain n’est pas porteur. » Nous avons besoin de cette vitrine internationale. Et, selon moi, s’il y a débat, c’est qu’il y a demande », ajoute Mario Epanya Et que répond-t-il aux réfractaires qui condamnent l’appel à Vogue, média étranger, pour mettre en avant la création africaine ? Sans compter qu’on n’a jamais vu une édition de Vogue dédiée à un continent entier, notent d’autres internautes circonspects. « Ces arguments sont ridicules. J’attends toujours le magazine africain, fait par des Africains, qui mettrait notre création en avant, sans disparaître au bout de six mois. Vogue Africa permettrait de placer à l’international les acteurs de la mode africaine » , justifie-t-il.  « Je peux comprendre la fierté qu’il peut y avoir à vouloir faire l’impasse sur Vogue mais nous vivons dans un monde globalisé. Et la mode africaine est déjà exploitée par des marques occidentales. Pourquoi se priverait-on d’une telle opportunité ? Nous avons besoin de cette vitrine internationale. Et, selon moi, s’il y a débat, c’est qu’il y a demande. Vogue Africa pourrait, dans un premier temps, consacrer sa ligne éditoriale, à chacune de ses parutions, à un pays en particulier jusqu’à ce puisse naître Vogue Nigeria, Vogue Sénégal, Vogue Côte d’Ivoire, etc. »

La problématique des annonceurs

Pour Paola Audrey Ndengue, fondatrice du magazine de mode Fashizblack et directrice de communication de la plateforme Afrikrea, la création d’un Vogue Africa est, d’un point de vue économique, prématurée, même si la création africaine est largement au rendez-vous. « Il faut prendre en compte le business model de Vogue. Ce magazine n’existe pas sans ses annonceurs qui, pour la grande majorité, sont de grandes marques de luxe. Et pour le moment, ces grandes marques de luxe ne sont présentes sur le continent qu’au Maghreb et en Afrique du Sud », explique la jeune femme, basée à Abidjan, où elle est également consultante dans le domaine du lifestyle.

Il y a très peu de chance que Vogue se lance dans une aventure africaine si les annonceurs traditionnels ne suivent pas », analyse Paola Audrey Ndengue « En Afrique, le marché du luxe reste un marché de niche. Tant que les marques de luxe ne se seront pas franchement installées en Afrique subsaharienne, il y a très peu de chance que Vogue se lance dans une aventure africaine. Ceci dit, je suis quand même étonnée qu’il n’existe toujours pas de version sud-africaine de Vogue, dans la mesure où le marché du luxe y est mature et bien réel. »  Et que dire des magazines de mode africain existants… « Ne vaut-il pas mieux aider ceux qui sont déjà là ? », s’interroge Paola Audrey Ndengue, avant de faire part de son incertitude quant à l’enrichissement des marques locales africaines grâce à Vogue. Le débat est donc posé. Mais, pour le moment, l’éditeur des 23 versions de Vogue, le groupe américain de presse Condé Nast, n’y a pas encore pris part.

 

Source: jeuneafrique.com