Les multiples erreurs que nous commettons au moment de cuire du poisson

Cuire au sortir du frigo, cuisiner au beurre, fariner la chair... Ces mauvaises pratiques dénaturent nos filets de poisson. Explications et conseils du chimiste Raphaël Haumont.

En cuisine, la cuisson est probablement la chose la plus difficile à maîtriser. C’est vrai pour la viande, mais aussi pour le poisson. Comment le cuisiner afin de garder une chair nacrée ? Comment éviter qu’il soit sec ou en charpie ? Comment échapper aux odeurs qui s'invitent dans toute la maison ? Après avoir passé en revue les aberrations culinaires transmises de génération en génération, Raphaël Haumont, chimiste spécialisé dans la cuisine moléculaire, auteur (1) et enseignant-chercheur à l'université Paris-11 (Orsay), liste les erreurs trop souvent commises en matière de cuisson du poisson. Explications scientifiques et conseils à l'appui.

Cuire le poisson sitôt sorti du frigo

Un premier faux-pas commis par la majorité des cuisiniers amateurs. On sait la chair du poisson fragile, on a pris l'habitude de le placer au frais dès notre retour du marché, puis de ne le ressortir qu'au moment de la cuisson. Et pourtant, tout comme pour la viande, un temps de repos à température ambiante est nécessaire. «Cuire le poisson au sortir du réfrigérateur n'est pas recommandé puisque l'on va avoir une "surcuisson" à l'extérieur, l'intérieur demandant plus de temps pour monter en température», explique Raphaël Haumont. C'est même le meilleur moyen pour obtenir un poisson sec : «En cuisant un filet à feu vif on va éliminer l'eau contenue dans le produit, ce qui l'assèche. Il faut faire en sorte d'éviter le choc thermique en plaçant le poisson à température ambiante, sous un linge, 15 minutes avant de le cuire - pas plus, pour ne pas s'intoxiquer».

"Surcuire" le poisson

Une bonne astuce : à mi-cuisson on couvre la poêle «L'enjeu c'est de conserver l'eau de l'aliment tout en parvenant à coaguler les protéines.» En clair, il faut parvenir à cuire le poisson suffisamment sans le «surcuire», au risque d'obtenir un cabillaud aussi sec qu'à la cantine. «Le poisson cuit dès 50 °C, donc ça va très vite. Il faut la saisir, afin qu'une croûte se forme, mais ne surtout pas dépasser les 70 °C. Je conseille d'acheter une sonde thermique qui permettra de vérifier qu'on ne dépasse pas cette température», préconise notre chimiste. Pour un poisson nacré, on tablera sur une température de 55 °C à cœur, 52 °C pour un saumon. De la même façon, pour une cuisson à l'unilatérale, on place le poisson côté peau, et on le laisse cuire doucement (la poêle doit être chaude mais pas brûlante). La chair a beau être protégée, il faut malgré tout y aller doucement. «Une bonne astuce : à mi-cuisson on couvre la poêle, comme cela le produit cuit plus vite (grâce à la vapeur) et de façon plus homogène».

Utiliser du beurre pour la cuisson

«Attention, le poisson a besoin de temps pour cuire, le beurre, utilisé seul, aura tout le temps de noircir», prévient Raphaël Haumont. L'astuce ? «On utilise du beurre clarifié ou on mélange le beurre avec un peu d'huile d'olive.» Ainsi, le beurre ne brûlera pas. Sachez, si vous souhaitiez vous lancer dans la réalisation de la célèbre raie au beurre noir que son nom n'est autre qu'un abus de langage. Le concept n'est pas de le cuire jusqu'à ce qu'il noircisse, mais bien d'arrêter la cuisson au moment où il devient noisette. Dans la recette classique, le beurre noir est d'ailleurs réalisé à part, utilisé pour napper, au moment du service, le poisson cuit dans un court-bouillon. «On peut même cuire une raie sans aucune matière grasse dans une poêle antiadhésive. Et si on veut le goût du beurre en plus, je confirme, on le prépare à part pour ne pas prendre de risques.»

Fariner le poisson

Cette méthode qui consiste à fariner filet de poisson avant de le cuire dans du beurre, façon «meunière», était la cuisson favorite de nos grands-mères. Au-delà de la gourmandise qu'elle apporte, la farine permettrait au poisson de ne pas accrocher à la poêle. «C'est tout le contraire. La farine, avec l’eau comprise dans le beurre, gonfle comme une béchamel, colle et accroche inévitablement», affirme l'expert. On se reporte donc aux conseils de cuisson cités plus haut, et si l'on souhaite garder ce croustillant, «on pane puis on frit carrément le poisson dans une grande quantité d'huile».

Trop assaisonner

Avant d'assaisonner le fruit de notre pêche, rappelons que le poivre ne se cuit pas ; on l'utilise à la fin pour ne pas le brûler. Quant au sel, le poisson en contient naturellement. «Redécouvrons le goût du poisson juste cuit, le goût de la chair fine et soyeuse», préconise notre chimiste pour qui un bon turbot peut se passer de tout assaisonnement. Si l'on souhaite tout de même donner du goût, on ajoute une pincée de fleur de sel et un tour de moulin à poivre sur le filet ou on propose des sauces dans des petits pots présentés à côté. Autre idée pour donner du relief à la chair sans en dénaturer le goût, on prépare une marinade aux épices en suivant les conseils du chef Olivier Roellinger.

Jeter la tête, les écailles et les arêtes

On a tendance à jeter 70 % du poisson. «On a tendance à jeter 70 % du produit alors qu'au Japon, on mange tout le poisson», s'insurge Raphaël Haumont. L'idée ? Dans une démarche zéro-déchetsmais aussi dans le but d'obtenir plus de goût, on cuisine la tête, les arêtes, la peau ou encore les écailles du poisson. On peut réaliser des fumets de poisson traditionnels ou tester des recettes plus audacieuses. «Mon astuce : on essuie la peau du poisson, on la plonge dans une friteuse pendant 30 secondes, ou bien on la sèche au four, on laisse refroidir puis on mixe au blender». On obtient alors un sel d'assaisonnement iodé, naturel, original et pauvre en sodium.

Éviter de cuisiner du poisson parce que ça sent mauvais

Oui, le poisson dégage cette odeur caractéristique rappelant l’ammoniaque, lorsqu'il est cuit. «On utilisera classiquement du vinaigre, du jus de citron ou du vin blanc pour la neutraliser», explique Raphaël Haumont. Élément d'explication intéressant, le fait de trop cuire le produit augmente la puissance des effluves. «Lorsqu'on "surcuit" le poisson, le soufre et l'azote contenus dans sa chair dégagent une odeur très forte». La solution ? Le cuire correctement, ou encore, opter pour une cuisson lente. «La cuisson basse température ne sent rien et permet d'obtenir un résultat parfait !», s'enthousiasme-t-il. «On prend de l'huile propre dans laquelle on peut ajouter du laurier, du citron ou de l'ail pour parfumer, on monte à 60 °C puis on met son poisson dedans et on attend qu'il cuise. Ensuite, on enlève l'excédent d'huile avec du papier absorbant», explique le spécialiste. La température ainsi contrôlée, on est sûr d'obtenir, en une vingtaine de minutes, la cuisson parfaite qui, ô miracle, ne sent pas. «C'est la meilleure méthode pour éviter les odeurs de poisson», de conclure Raphaël Haumont. À tester dès ce week-end ?

 

Source: madame.lefigaro.fr