j’ai subi une mutilation génitale et ma vie a basculé"

Certaines femmes ont aujourd’hui décidé de parler pour que ces pratiques de mutilations sexuelles, ces violences faites aux femmes prennent fins. Ce témoignage aurait pu être celui de votre voisine, de votre amie ou d’une jeune passante anonyme. C’est celui d’une jeune fille, devenue femme meurtrie. C’est celui d’une jeune fille nommée Sally, originaire du Sénégal.

« Je suis née au Sénégal en 1974. J’ai été victime d’une coutume ancestrale qui consiste à l’ablation du clitoris. A l’âge de 9 ans, ma vie a basculé. Ce jour-là reste gravé dans ma mémoire. Malgré mon jeune âge, les souvenirs restent intacts. Je me souviens de la cérémonie, de ces femmes qui me tenaient, de cette lame de rasoir et de ce cri qui jusqu’aujourd’hui retentit dans mes souvenirs. Un matin de juillet, ma mère m’a emmené voir ma tante, la sœur de mon père, une femme que j’adorais. Je ne soupçonnais rien. Alors que je jouais tranquillement avec mes cousines, ma tante m’a appelé dans la salle d’eau. Plusieurs femmes se sont alors jetées sur moi. Elles m’ont allongé à même le sol puis m’ont écarté les jambes. Je criais, j’étais complètement paniquée. Je ne voyais pas ce qu’elles faisaient mais je ressentais le danger. Et là, j’ai senti la lame entrée dans ma chair. Je pleurais. Il y avait beaucoup de sang. On me disait que c’était un passage obligé pour que mes parents soient fiers de moi. L’odeur, la vue de mon sang qui coule entre mes jambes et cette vieille femme qui me porte et me trempe dans une bassine d’eau froide pour anesthésier ma plaie. Tous les souvenirs sont douloureux. Elle m’a pansé avec une préparation à base d’huile de karité puis m’a enveloppé dans un pagne noir. Là, les femmes ont commencé à taper dans leurs mains et à chanter. On m’a trahie, on m’a fait du mal et personne, pas même ma mère ne s’y est opposée. Pire, elle semblait même heureuse ! A l’époque, l’excision était une pratique courante et le sexe restait un sujet tabou. Un an plus tard, avec ma mère et mon frère, nous sommes allés rejoindre mon père en France. J’ai grandi dans une sorte de déni de mon corps comme si mon esprit voulait masquer la réalité. A l’adolescence, je me suis sentie seule et incomprise, je ressentais un besoin de parler mais je ne trouvais pas les mots pour exprimer mes maux. Et plus j’avançais et plus d’autres symptômes s’ajoutaient : perte d’appétit, pensées suicidaires constantes, une terrifiante peur à la vue d’un objet tranchant. Je devenais de plus en plus agressive comme si j’avais besoin de me protéger des autres. Je souffrais psychologiquement sans pouvoir nommer cette douleur. Un jour, j’ai rencontré un homme très à l’écoute de mes souffrances. Et là, j’ai ressenti le besoin de témoigner, de crier et d’être entendu par quelqu’un. Après avoir vidé mon sac, je pensais ne plus en souffrir. Mais cela n’a rien guéri au fond de moi. Cette blessure était tenace. Puis, un jour, j’ai appris que je n’étais pas seule en regardant une émission télévisée. On parlait de moi, d’autres filles, de notre mal. J’ai appris que des médecins savaient réparer ce qu’on m’avait volé. Ils pouvaient me libérer de ce cri, de cette odeur de sang et de cette douleur qui dominait mon mental. Et là, ce fut comme une libération, j’ai pleuré, pleuré. Enfin, j’étais assurer de devenir moi, la femme que j’aurais du être, une femme à part entière. Je sais que je ne peux rien changer de mon passé mais je peux écrire mon future autrement. Ce que j’ai subi est une véritable mutilation, on m’a pris ma féminité, mon identité, mon bonheur. »

Source: Génération femmes d'Afrique et d'ailleurs