« À l’adolescence, l’autonomie est une question de prise de risque »

Parent, il faut accepter de ne pas être d’accord avec son enfant adolescent, tout en étant curieux des choses nouvelles qui l’attirent. Entretien avec Vincent Berthou, pédopsychiatre et psychanalyste à la Maison des adolescents de Strasbourg.

Quel tour prend la question de l’autonomie à l’adolescence ?

L’adolescent sait davantage faire seul, bien sûr, il n’a plus besoin qu’on lui prépare son petit déjeuner ! Mais le défi de l’adolescence, c’est de conquérir son propre espace de vie et de pensée : sa chambre, ses copains, son intimité, ses opinions…
Ces velléités d’indépendance exacerbent un enjeu d’individuation qui existe en réalité depuis le début de la vie. Or la façon dont l’adolescent va le vivre dépend fortement de la façon dont cela se passait pendant l’enfance. Avoir grandi dans un environnement avec à la fois une présence parentale et une marge de liberté aide l’adolescent à opérer ses prises de risque.

L’autonomie est une question de prise de risque ?

Oui. Car il y a dans l’adolescence un côté non maîtrisé et non maîtrisable, quelque chose que l’on subit, y compris dans son corps. C’est déstabilisant voire angoissant. Certains, on le voit dans beaucoup de phobies scolaires, vont empêcher ce processus ou cherchent à le contrôler avec un certain conformisme avec les autres ados, en suivant telle personne par manque de capacité à choisir pour eux-mêmes ce qui leur convient ou encore en s’isolant avec les écrans.
Les adolescents qui ne vont pas bien sont souvent ceux qui ont du mal à être ados, à accepter la prise de risque d’être dans un nouvel environnement, l’incertitude, la part d’angoisse que leur impose cette période. Il est pourtant indispensable de s’y confronter.

Comment les parents peuvent-ils accompagner les adolescents sur ce chemin ?

La difficulté est qu’eux aussi peuvent être angoissés : pour leur enfant, son avenir, la réussite à l’école… Ils peuvent être tentés de le surprotéger, en anticipant toutes ses envies, en le surveillant… ou bien, a contrario, de le laisser sur les écrans.

Or tout comme les ados, les parents doivent apprendre à gérer leur angoisse, à accepter de ne plus toujours savoir exactement où est leur enfant, ce qu’il fait. Pour l’enfant, il est important d’apprendre à se débrouiller, même si c’est un peu angoissant, même si l’on rate, et de faire appel à l’autre si besoin. Le parent doit rester attentif, à l’écoute… si besoin ! Avoir transmis pendant l’enfance la connaissance des limites et ce vers quoi il faut aller aide grandement.

Voir son enfant s’autonomiser, c’est tout le but de l’éducation…

Oui, y compris en acceptant de ne pas être d’accord avec lui et en étant curieux des choses nouvelles qui l’attirent et auxquelles on ne s’attendait pas. On reste parent, un point de repère, avec certaines valeurs, mais heureux de le voir devenir adulte. D’ailleurs, la fin de l’adolescence est souvent le temps du rapprochement, celui où on passe vraiment des velléités d’indépendance à la vraie autonomie, qui est en fait l’acceptation d’une interdépendance et conduit à composer, à faire des aménagements entre ses idéaux et ses contraintes.