Inde : une femme enceinte meurt après avoir été refoulée de 8 hôpitaux en 15 heures

Le New York Times raconte dans un article publié ce 21 juin l'histoire de Neelam Kumari Gautam, qui a fait les frais d’un système de santé indien précaire, pulvérisé par la crise du coronavirus.

15 heures, 8 hôpitaux, aucune prise en charge. Tel fut l’enfer qu’a traversé Neelam Kumari Gautam, une femme enceinte qui devait accoucher le 5 juin à New Delhi, en Inde, racontée par le New York Times ce 21 juin. Souffrant d’une situation que la crise du Covid-19 a rendu “horrible et pathétique" selon plusieurs juges de la Cour suprême de l'Inde, les hôpitaux de la capitale indienne sont actuellement en incapacité d’accueillir plus de patients. Même les plus en danger, comme l’était cette femme avant de décéder.

"ELLE VA MOURIR. EMMENEZ-LA OÙ VOUS VOULEZ"

Neelam, 30 ans, était dans son neuvième mois de grossesse, lorsque les complications ont commencé. Dans la nuit du 5 juin, elle a été réveillée par des douleurs si intenses qu’elle pouvait à peine respirer. Son mari, Bijendra Singh, prend alors immédiatement l’initiative de l’emmener à l’hôpital pour déclencher l’accouchement. Fin mai, sa femme avait déjà hospitalisée pour de l'hypertension artérielle liée à la grossesse, des saignements et des soupçons de typhoïde. Mais le calvaire de ce ménage issu de la classe moyenne indienne commence lorsque le premier établissement refuse de la prendre en charge.

"Je vais vous gifler si vous enlevez votre masque” : tel fut l’accueil qu’a réservé le premier médecin à Mme Gautam et Mr. Singh, lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital ESIC de Noida. Choqué, le couple est ensuite renvoyé dans un autre établissement, alors qu’elle demandait une assistance respiratoire d’urgence. Le calvaire se poursuit ensuite d’hôpital en hôpital. Tantôt, on ne peut lui fournir les soins intensifs. Tantôt, on la soupçonne d’être atteinte du coronavirus. Parfois, il manque des lits pour l'accueillir ... “Elle va mourir. Emmenez-la où vous voulez” a répondu le médecin du quatrième hôpital, lorsqu’on a demandé un ventilateur pour Neelam, toujours en grande difficulté respiratoire.

UN CALVAIRE LONG DE QUINZE HEURES

"Pourquoi les médecins ne m'accueillent-ils pas ? désespère Neelam. Quel est le problème ? Je vais mourir." Au bout du compte, le couple a visité 8 hôpitaux en 15 heures, sans ne jamais être pris en charge pour porter assistance à la femme enceinte. Face à cette succession de refus, son mari se résigne à appeler la police. Après avoir rencontré deux officiers devant un des hôpitaux publics de la ville, il raconte que les médecins ont même refusé d’écouter les autorités. “Sauve-moi”, implore, dans l’ambulance, celle qui est déjà mère d’un enfant de 6 ans. A 20h05, Neelam Kumari Gautam est déclarée morte, avec son bébé.

Selon une enquête préliminaire ouverte par le gouvernement, “l'administration et le personnel de l'hôpital ont été reconnus coupables de négligence”. Du côté des hôpitaux, tout le monde se renvoie la balle. "Nous avons fait ce que nous pouvions”, assure Ravi Mohta, directeur du troisième établissement. Le quatrième hôpital se dédouane en affirmant avoir proposé une ambulance à Neelam, ce que réfute son mari. "Ils se moquaient qu'elle soit morte ou vivante", affirme-t-il. Les administrateurs de l’établissement qui a refusé d’écouter la police ont refusé de commenter.

UN CAS NON ISOLÉ DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE SANITAIRE

Neelam Kumari Gautam et Bijendra Singh sont deux des victimes d’un système sanitaire indien à la dérive, atomisé par la crise du Covid-19. Deux autres femmes sont d’ailleurs décédées pendant le travail, dans des conditions similaires, avec une insensibilité telle de la part du personnel soignant que la famille de l'une des deux a dû “faire rouler son corps sur la route” sur plusieurs kilomètres, faute d’ambulance. Le cas d’un jeune garçon de 13 ans décédé suite à des maux de ventre en avril, après avoir été refoulé de six hôpitaux différents, semble aussi être le symptôme d’une véritable négligence envers les patients non-concernés par le coronavirus. L’ingénieur en électronique Thejesh GN a d’ailleurs constitué une base de données qui permet de constater qu’au moins 63 personnes sont décédées ces dernières semaines, à la suite d'un refus de les admettre dans des soins d’urgence. Selon plusieurs experts de santé, ce chiffre serait beaucoup plus élevé. Le ministère de l'Intérieur indien Amit Shah a publié une directive soulignant à nouveau que tous les hôpitaux devraient rester ouverts pour “tous les patients, les urgences Covid et non Covid”.

En moyenne, le gouvernement indien dépense moins de 2.000 roupies (environ 26 dollars) par personne et par an, pour les soins de santé, et l’affaiblissement de l’économie liée à la pandémie n’a pas motivé le gouvernement à prendre les meilleures précautions. Déplorant 13.000 décès du coronavirus, l'Inde enregistre aujourd’hui plus d'infections par jour que toute autre nation, à l'exception des États-Unis ou du Brésil. Confinés entre mars et juin, beaucoup d’Indiens comptaient sur le ralentissement de la propagation du virus pour permettre d’augmenter la capacité d’accueil dans les hôpitaux. En réalité, la situation peine à se résorber. À Delhi, on manque toujours de milliers de lits, si bien que des wagons de chemin de fer ont été exploités afin d’y accueillir des malades. La politique d’admission des patients n’est d’ailleurs pas homogène. Là où certains hôpitaux imposent un test avant tout traitement, d’autres n’opèrent qu'un simple contrôle de température. Certains hôpitaux privés avouent d’ailleurs être terrifié quant à l’admission de nouveaux malades, surtout concernés de problèmes respiratoires, non-désireux de voir leur établissement fermer ses portes. "La politique gouvernementale a créé ce chaos”, a déclaré Rajesh Kumar Prajapati, chirurgien orthopédiste et ancien professeur de faculté de médecine.