Madagascar : la zébumachie, une arme de séduction

Pour Andry R., le Savika est une tradition familiale. Son grand-père luttait également contre les zébus.

Seriez-vous prêt à tout affronter pour trouver l'amour? Dans les hautes terres centrales de Madagascar, les hommes de l'ethnie Betsileo luttent contre un zébu à mains nues pour impressionner les jeunes filles.
Cette zébumachie traditionnelle malgache s'appelle le Savika.
Andry Rafanambinantsoa, 27 ans, est l'un de ses adeptes. "Je fais ça, car j'espère devenir célèbre et peut-être rencontrer quelqu'un, par exemple de nouvelles jeunes filles. Il y a beaucoup d'ambiance aussi," explique-t-il avant de descendre dans l'arène poussiéreuse pieds nus, armé de son seul courage.
Un petit verre de rhum avalé quelques minutes avant, lui donne une dose de bravoure supplémentaire pour le combat inégal qui l'attend.
Son adversaire : une bête de 180 kilos avec de longues cornes qui menace d'empaler ou de piétiner sous ses sabots les imprudents.
Andry se glisse furtivement derrière l'animal et s'accroche de toutes ses forces à la bosse derrière le cou du zébu. C'est une guerre d'usure qui commence.
La bête se débat et enchaîne les ruades à travers l'arène pour se débarrasser de son hôte indésirable, mais Andry tient bon.
Le combat s'arrête une fois le zébu épuisé ou lorsqu'un participant se blesse.
Plus de peur que de mal pour Andry qui a réussi à attraper quatre zébus au cours de ce tournoi d'une journée dans un village près de la ville d'Ambositra, à 250 km au sud de la capitale Antananarivo.
Il repart sous les acclamations de la foule compacte perchée sur les rebords de l'arène en plein air.

Les femmes admettent être impressionnées par ce spectacle.
Avec timidité, Haingonirina Onitony, âgée de 17 ans, et ses amies admettent avoir été impressionnées par ses prouesses :
"On estime qu'il a pris beaucoup de risques. D'après nous, il y en a pas mal qui combattent bien. Ce que l'on admire chez eux, c'est leur courage et leur technique."
Les femmes ne pratiquent pas le Savika car elles sont considérées trop faibles. Alors que dès l'âge de 8 ans, des garçons descendent dans l'arène pour lutter contre des zébulons.
Andry a également débuté lorsqu'il était encore enfant.
"Je fais du Savika depuis l'âge de 9 ans. J'ai commencé dans les rizières, pendant le piétinage et le repiquage pendant la saison des pluies, et je suis gardien de troupeau."

Zébumachie, un moyen de trouver l'amour 
Il n'y a pas d'école de Savika, être gardien de troupeaux est un des meilleurs moyens d'apprendre à anticiper le comportement et les réactions des zébus.
Contrairement à la corrida espagnole, l'animal n'est pas abattu à la fin du tournoi.
Le zébu est respecté par les Malgaches qui l'utilisent beaucoup pour l'agriculture. Pour Andry, le Savika est aussi une question de culture et de tradition familiale. Son grand-père était lui-même un combattant.
"C'est très grave de rester célibataire"

Andry espère poursuivre la lignée, mais il n'a pas encore rencontré sa future femme.
"J'ai 27 ans, et je suis toujours célibataire. J'aimerais me marier, parce que jusqu'à aujourd'hui, la vie est très difficile. Je suis le seul garçon de mes parents, " explique-t-il assis dans le salon de la maison familiale à deux étages.
"C'est très grave de rester célibataire. Si tu n'as pas d'enfants, si tu n'as pas de dynastie, le nom du père disparaît."
Andry vit dans un village perdu au milieu des rizières en terrasse et des montagnes dont les sommets tutoient la brume.
Il souhaiterait se marier avec une villageoise, mais la plupart de ses voisins font partie de la famille. Et la ville la plus proche se trouve à 6 heures de marche. Difficile de trouver la femme de sa vie dans ces conditions.

Certains, comme Mamirija Fenoahasina, n'ont pas de téléphone.

Le jeune bouvier de 18 ans a dû recourir à une forme de séduction quelque peu désuète :
"Il y a deux méthodes pour draguer les filles. Il y en a qui arrivent à leur parler directement face à face ; et d'autres comme moi, qui écrivent des lettres et les font passer par l'intermédiaire d'un ami parce qu'on n'a pas encore de téléphone. Et après, quand on se croise, j'essaie de les aborder."
Et quoi de mieux qu'un tournoi de Savika pour accoster l'élue de son cœur?
Il s'agit d'un moment important qui rassemble des communautés éloignées où les divertissements sont rares.

Contrairement à la corrida espagnole, l'animal n'est pas mis à mort car le zébu est très respecté à Madagascar.
Jean Robert Randrianasoloniaina Rakotorahalahy lui, n'a plus à se préoccuper de sa vie amoureuse.
A 37 ans, ce champion de Savika à la silhouette trapue est marié et père de famille.
Mais lorsqu'on lui demande s'il a eu l'occasion de rencontrer des jeunes filles à travers ce sport étant plus jeune, il élude la question dans un sourire.
Il admet toutefois que la célébrité a parfois compliqué sa vie personnelle.
"Quand je n'étais pas encore marié, ma fiancée m'accompagnait toujours lors des tournois parce qu'elle est un peu jalouse, car comme je suis champion, tout le monde me connaît," explique-t-il.
Conscient de son statut de modèle, ce vétéran du sport transmet son savoir et les techniques aux jeunes adeptes pour éviter qu'ils ne se blessent.
Ses victoires dans les tournois professionnels lui ont rapporté beaucoup d'argent, mais malgré cela, il compte bientôt arrêter la Zébumachie :
"Je ne veux plus prendre trop de risques parce que je suis déjà père de famille et ça me fatigue. Je travaille aux champs et je vais combattre après."

Le danger est bien réel

Dans la partie est de la région d'Ambositra, environ 50 personnes sont mortes dans des tournois de Savika.
Lors de l'événement organisé au village d'Ivony, le champion Jean Robert et Andry s'en sortent sans une égratignure après avoir parfois frôlé le pire. D'autres ont eu moins de chance.
Vers la fin de la journée, un des amis d'Andry est tombé sous les sabots d'un Zébu.

Affronter un zébu pour trouver l’amour
Il a dû se rouler en boule pour se protéger et il n'a pu s'échapper que lorsqu'un autre combattant a détourné l'attention du zébu en tirant sur sa queue.
Il arbore une plaie sanguinolente de plus de 2 cm de profondeur sur la fesse droite après un violent coup de corne de la bête.
L'équipe de la BBC l'a conduit en voiture à la clinique la plus proche car il n'y avait ni médecin, ni médicaments sur place.
Andry a accompagné son ami qui a reçu plusieurs points de suture sans anesthésie.
Il n'a pas pu rencontrer quelqu'un pour cette fois, mais il assure qu'il va continuer de descendre dans l'arène et chercher sa future femme.