Fafa Ruffino (Les Amazones d’Afrique) : ``La femme n’est pas appréciée à sa juste valeur ``

Vendredi soir, le Tangram célébrera sa traditionnelle Fête de la Soupe. Les associations ébroïciennes feront goûter leurs recettes de potage juste avant le concert des Amazones d’Afrique. En attendant, on a demandé à Fafa Ruffino quelle était sa soupe préférée. Et les ingrédients qui constituent son supergroupe féminin d’Afrique de l’Ouest. Extraits.

Vous allez chanter juste après la Fête de la Soupe. Vous, vous êtes plutôt quelle soupe ?

Fafa Ruffino : J’en fais une au potiron, ou au butternut. Je mets du butternut, de l’oignon, une pomme de terre et une carotte. Et c’est tout. Le tour est joué.

Vous la tenez de qui ?

Oh, c’est une recette que je tiens d’une amie. C’est une mamie. Avant, de temps en temps, j’allais faire du bénévolat dans les maisons de retraite. J’allais chanter pour les personnes âgées. Je faisais des petites séances avec mon guitariste. On parlait de tout avec les mamies et les papis. Moi, je parlais de l’Afrique, certains chez les papis avaient fait la guerre ; avec les mamies, comme j’aime la pâtisserie, on parlait cuisine, c’est comme ça que j’ai eu, d’une mamie de 92 ans, sa recette de soupe au potiron. C’était du potiron, quand je suis en France, je la fais avec des potirons, mais quand je suis au Ghana, par exemple, il n’y a que du butternut, je remplace le potiron par le butternut. Cela dit, c’est pareil. Le goût est presque le même. C’est super bon !

Au départ, avec les Amazones d’Afrique, vous vous êtes unies pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ce sont plus particulièrement les femmes africaines ou plus généralement toutes les femmes ?

Ce sont toutes les femmes. Moi, je viens de rejoindre le projet. À la base, l’idée de former la bande est venue de Valérie Malot, la productrice (3D Family, ndrl), de Mamani Keïta, Oumou Sangaré et Mariam Doumbia, d’Amadou et Mariam. Elles ont eu cette idée à Bamako. La première édition était vraiment ciblée sur la condition de la Femme – et des jeunes filles – en Afrique. Sur cette seconde édition est restée : la productrice, évidemment, et Mamani Keïta. Elles ont eu envie d’élargir l’horizon du projet. Cette fois, on parle des femmes en Afrique et des femmes dans le monde entier. Les violences faites aux femmes, c’est partout. Il y a des femmes partout. Je viens de voir que le 10 janvier, au Parlement, ils étaient en train de faire voter une loi sur les violences conjugales. En 2019, il y a eu 149 femmes décédées à la suite de violences conjugales, en France. Et 121, en 2018. Je vois ça, ce matin, en regardant ma télé – La Chaîne parlementaire, que je regarde beaucoup parce que j’ai un passé de juriste, j’aime bien suivre ce qui se décide au niveau des lois en France. Je viens d’un pays francophone, la loi au Bénin, c’est la loi française qui est appliquée et, évidemment, la loi locale, aussi. Voir qu’il y a des députés qui se battent pour qu’il y ait des sanctions qui soient prises contre les conjoints… il y a aussi des hommes qui subissent des violences, mais là, on parle des femmes puisque ce sont les femmes qui nous intéressent.

Il n’y a pas que les violences conjugales, je lisais qu’une femme qui faisait de la musique, ce n’était pas forcément très bien vu. C’est aussi une question de liberté.

Ah, ben, non ! Aujourd’hui, ça va un peu mieux. Mais du temps de nos aînées… Je vous donne un exemple simple. Au Bénin, je parle du Bénin pour commencer, la première femme chanteuse – paix à son âme – Edia Sophie, c’était une princesse d’Abomey. Elle a osé braver les codes et prendre le micro dans les années 60. C’était un affront à la cour royale qu’une princesse se mette à chanter. Normalement, on chante pour elles, pour les princesses. Il faut savoir que les chanteuses dans nos pays sont perçues comme des putes, des prostituées.

Aujourd’hui encore ?

Un peu moins. On a quand même des aînées qui ont essayé d’aller contre ces stéréotypes. Si t’es chanteuse, c’est parce que t’as pas réussi à l’école. La femme chanteuse est convoitée par beaucoup d’hommes. Aujourd’hui, on a Edia Sophie ou Angélique Kidjo qui servent d’exemple, on a Miriam Makeba, on a Bella Bellow, toutes ces grandes voix de la chanson de chez nous qui ont prouvé qu’une femme peut être chanteuse et respectée, avoir un foyer, gagner sa vie avec la musique. C’est toujours d’actualité, mais c’est un peu moins visible. Avant, il y avait des agressions verbales. Bon, c’est vrai que maintenant, avec les chaînes de télévision américaine et tout, qui sont partout, le hip-hop, les filles sont carrément… carrément dans des strings et tout ça. Voilà, ça ne nous aide pas à lutter contre ces idées préconçues.

Oui, le string dans les clips de rap ; ça va dans le sens de ceux qui ont des idées préconçues sur les femmes…

Exactement ! C’est ça aussi le gros problème qu’on a. Ce n’est pas le string dans les clips de rap. Je ne suis pas spécialement pour ça, les femmes à moitié à poil pendant que les hommes sont bien habillés. C’est toujours les femmes qu’on voit nues, pourquoi ? La femme est présentée comme une marchandise qu’on va vendre. Nous, on essaie de lutter contre toutes ces images. On peut faire des clips et être bien habillées. Propres sur soi. Et avoir du succès. Les hommes qui mettent des femmes à poil dans leur clip, ça ne nous aide pas, spécialement en Afrique, à casser cette image de cette femme chanteuse…

La télé et internet peuvent aussi avoir un aspect positif, on l’a vu, par exemple, avec le mouvement #Metoo.

Les réseaux sociaux nous aident beaucoup à faire passer les messages, parce qu’aujourd’hui, dans tous les pays, partout dans le monde, dans tous les petits villages, les hameaux, les gens ont des portables, ils ont accès à WhatsApp, etc. Les messages passent. Nous, les Amazones, ce qu’on fait, c’est beaucoup relayé, partout, au Bénin, au Mali, etc. Les gens regardent les clips, les interviews. Nous ne sommes pas les premières, il y en a eu d’autres avant. Nous, la chance qu’on a, c’est qu’il y a les réseaux sociaux qui sont vraiment très présents. On les utilise beaucoup pour faire passer le message. Et je pense qu’avec cette nouvelle version des Amazones d’Afrique, la production a voulu toucher les nouvelles générations, ces jeunes qui sont porteurs du futur et qui doivent participer à l’amélioration des choses. La musique a un peu changé, pour les toucher, il fallait une musique un peu hip-hop, un peu funky, un peu soul, ce genre de musique que cette nouvelle génération écoute.

Donc, le message des Amazones, c’est : On peut être moderne, faire de la musique, avoir du succès, en étant digne.

Absolument ! Le message est là, entre autres. En fait, je crois que tout est lié. Dès que vous êtes une femme, dès que vous voulez faire quelque chose « hors-norme »… Je ne sais pas si je vais dire hors-norme, en fait. Quelque chose que la société ne conçoit pas qu’une femme doive faire, tout de suite tu bascules de l’autre côté. La femme doit avoir une certaine image… Elle doit être voilée, de la tête aux pieds… Une femme qui met des mini-jupes, même si elle n’est pas chanteuse, est mal considérée… En fait, tu n’as pas le droit de faire ce que tu veux de ton corps. Contrairement aux hommes qui, eux, sont libres de faire ce dont ils ont envie. Un homme peut avoir dix mille femmes ; une femme ne doit pas avoir plus d’un mec dans sa vie… Ça, ce n’est pas seulement en Afrique, c’est dans le monde entier. Partout, même en France. Le problème est là, pourquoi c’est toujours la femme qui se retrouve sur le banc des accusés ? Quel que soit le cas de figure, la faute revient toujours à la femme. C’est ça qu’on refuse. Dans la musique, un homme peut venir torse nu, mettre de l’huile sur son corps, ah, on va le trouver beau. Si c’est une femme, paf ! on la prend tout de suite pour une pute ! On se bat contre ça, contre ces préjugés. Et l’excision, parce qu’il faut que la femme soit excisée sinon, dans certains pays, l’homme ne la prend pas en mariage. C’est quoi, ça ? Est-ce que vous avez déjà vu quelque part qu’on donne en mariage un enfant de six ans à une femme de soixante ans ? Ça n’existe pas. Mais le contraire, oui ! Pourquoi ? Un jour, les hommes ont décidé que la femme serait en bas, on parle du sexe faible. Mais s’il n’y a pas de femmes, il n’y a pas d’hommes sur terre. C’est elle qui donne la vie. En quoi la femme est faible ? Je suis un peu énervée, c’est un sujet qui me touche beaucoup, donc je m’emporte, j’en parle avec passion.

Que pensez-vous de cet argument, c’est aussi la liberté de la femme de porter une mini-jupe, un voile, un voile intégral ? Si c’est son choix.

Je suis d’accord avec ça. On doit être libre. On dit : ma liberté s’arrête, là, où commence celle des autres. Moi, je n’ai jamais compris cette phrase (rire). On naît libre. Quand on sort du ventre de nos mères, femme ou homme, il n’y a pas de chaînes. Le seul truc qui est coupé, c’est le cordon ombilical. C’est la seule corde qui nous attache, on va dire. Nous naissons libres. Si une femme décide de porter une mini-jupe, c’est son problème. Si ça ne te plaît pas, regarde ailleurs !

C’est valable aussi pour le voile ?

Moi, le voile, je ne suis pas pour, je ne suis pas contre. Chacun fait ce qu’il veut ; la liberté, elle est là. Moi, je mets beaucoup de foulards. Je me trouve très belle avec mes foulards. Je viens d’une famille où il y a une majorité de Musulmans. Je fais partie des deux pour cent de Chrétiens. Ça ne m’empêche pas d’aller à la mosquée. Quand il y a des prières, je ne prie pas, c’est tout. Quand j’y vais, par respect pour mes cousines, j’attache mon foulard. Et il me va très bien. Après, chacun fait ce qu’il veut. Si une femme a envie de se voiler, elle n’a qu’à se voiler. C’est son problème. Après, je ne sais pas si vous savez, mais on ordonnait aux femmes de se voiler de la tête aux pieds de peur que les hommes ne résistent pas à leurs charmes… On revient toujours au même problème. Nous, ce qu’on refuse, c’est qu’on impose aux femmes des choses à faire pour le confort des hommes. Et on n’est pas les premières. Simone Veil est passée par là. C’est un combat qui part de loin. Pourquoi nous devons nous battre, en fait ? Pourquoi la femme doit se battre pour ce qui devrait être normal ? Être libre. La liberté. Je ne comprends pas.

Le combat continue.

Il a commencé, il y a longtemps. Il y a eu une accalmie. Et, là, depuis l’année dernière ou depuis deux ans, il y a comme un regain. Je crois qu’il y a une nouvelle génération qui est arrivée et qui a dit : C’est bon, quoi ! Cette génération a repris le flambeau. En même temps, on vit dans une société très contradictoire où les gens ont reçu un lavage de cerveau terrible depuis des siècles et des siècles, dans toutes les sociétés. Même en France. Avant qu’une femme puisse se marier, il fallait faire un trousseau. Ce n’est pas possible ! Il n’y a pas si longtemps encore, on mariait les filles à 16 ans, à des types de 70 ans, en France. Imaginez ça, c’est terrible ! On parle de l’Afrique, mais là. Ça s’est arrêté, mais il a fallu couper la tête à un roi pour que tout ça s’arrête. Vous voyez jusqu’où il faut aller pour avoir des résultats. Pour avoir des conditions qui, à la base, devraient être normales. L’égalité des sexes. L’égalité des droits. La liberté, quoi ! Avec mes collègues, on est à fond là-dedans. On ne dit pas qu’on utilise la musique comme arme, parce que c’est une démarche pacifiste.

Oui, on peut quand même venir en couple au concert des Amazones, les hommes sont tolérés… (rire)

Aaah oui, quand même ! Évidemment. Sans les hommes, il n’y aura pas de bébés, non plus ! Nan, nan, en plus, il y a beaucoup d’hommes qui sont dans le combat, avec nous. Sur le disque, il y a un groupe de jeunes rappeurs, c’est les Nyokõ Bokbaë, ils ont entre 16 et 22 ans, ils ont toujours été très engagés pour la liberté de la femme, les conditions de la femme. On les a invités sur ce second disque (Amazones Power, chez Real World Records, ndlr). C’est la nouvelle génération dans sa folie, sa passion, sa fougue, qui va accélérer plein de choses. Parfois, on a l’impression qu’on a évolué sur certains sujets et, avec les réseaux sociaux, on se rend compte qu’on n’a pas avancé tant que ça. Il y a même des choses sur lesquelles on a régressé. Comment vous pouvez imaginer en 2019, cent quarante-neuf femmes ont été tuées lors de violences conjugales, en France ? Ce n’est pas possible. L’Académie a fini par sortir le mot : Féminicide. Vous aviez entendu ce mot, il y a dix ans ? Ça n’existait pas. Maintenant, on nous en parle, ça veut dire qu’il y a un problème.

Dans ce contexte, vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste, quant à l’avenir ?

Je suis complètement optimiste. Parce que, nous avec ce qu’on est en train de faire, et avec tout le monde, vous avez vu le monde, il y a un soulèvement mondial au niveau des femmes. Je suis complètement optimiste sur le changement des conditions de la femme. La loi qui va être votée, les dix ans d’emprisonnement s’il y a violences conjugales ; ça, c’est génial. Que ce soit l’homme ou la femme n’est pas la question, on n’a pas le droit de violenter quelqu’un qui t’a fait confiance, qui s’est mis en couple avec toi. Et il y aura une loi pour les violences morales qui poussent au suicide, ça aussi, c’est génial. Pour moi, il y a de l’espoir. Avec les réseaux sociaux, les WhatsApp, les gens peuvent moins se cacher, faire ce qu’ils veulent dans l’impunité totale. On est au courant de tout. Les gens filment des vidéos dans l’anonymat et ils balancent. Pour moi, c’est un grand bond en avant dans ce combat qu’on mène. Les réseaux sociaux accélèrent le mouvement. Je suis plus qu’optimiste. Je m’emporte, j’ai tellement de rage dans mon cœur par rapport à tout ça. On est née libre ! Je ne vois pas pourquoi il y en aurait qui aurait plus de liberté. Ce n’est pas qu’en Afrique, c’est partout dans le monde. La femme n’est pas appréciée à sa juste valeur. Et je voudrais aussi préciser que les femmes doivent être ensemble et se porter vers le haut. On n’y arrivera pas si on reste chacune de notre côté. C’est ensemble qu’on construit. Sinon, ce sont des coups d’épée dans l’eau… C’est ça notre combat. Et on le voit dans les concerts. Au début, tout le monde est mélangé. À la troisième chanson, on voit que toutes les femmes poussent les hommes (rire). Elles se mettent devant ! Tout le monde ne peut pas l’ouvrir, comme on le fait, car les sujets qu’on aborde sont sensibles, assez ancrés dans la tête des gens, passés de génération en génération. Et, nous, on doit débloquer tout ça. Changer les habitudes, ce n’est pas facile. Mais on est optimiste ! On a le bagou, le courage, la pêche ! On y est et on ne lâche pas l’affaire.