Rosa Parks, la femme qui s’est tenue debout en restant assise

Née il y a cent ans, cette jeune couturière a participé  au basculement de l’histoire des États-Unis en refusant,  en 1955, de céder sa place à un Blanc dans un bus de ­Montgomery (Alabama).  À cette époque, l’apartheid à l’américaine réprime mais l’apartheid à l’américaine s’effrite. 

«Elle s’est assise pour que nous puissions nous lever. Paradoxalement, son emprisonnement ouvrit les portes de notre longue marche vers la liberté. » Jesse Jackson. Le 1er décembre 1955, à ­Montgomery, en Alabama, dans le Sud ­profond, Rosa Parks, couturière de quarante-deux ans, s’est, en effet, assise. Elle a, plus exactement, refusé de se lever pour céder la place à un Blanc. Voici le témoignage qu’elle en a livré : « D’abord, j’avais travaillé dur toute la journée. J’étais vraiment fatiguée après cette journée de travail. Mon travail, c’est de fabriquer les vêtements que portent les Blancs. Ça ne m’est pas venu comme ça à l’esprit, mais c’est ce que je voulais savoir : quand et comment pourrait-on affirmer nos droits en tant qu’êtres humains ? Ce qui s’est passé, c’est que le chauffeur m’a demandé quelque chose et que je n’ai pas eu envie de lui obéir. Il a appelé un policier et j’ai été arrêtée et emprisonnée. »

Ségrégation inconstitutionnelle

L’apartheid à l’américaine réprime mais l’apartheid à l’américaine s’effrite. En mai 1954, dans l’arrêt Brown vs Board of Education, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans l’éducation. Le Sud raciste résiste, évidemment, tandis que le pouvoir fédéral regarde ailleurs, pour l’instant.

Rosa Parks, née en 1913 à Tuskegge, à cinquante kilomètres de Montgomery, ne fut pas la première à « désobéir ». En 1944, Jackie Robinson, le premier joueur noir de la ligue professionnelle de base-ball, avait refusé d’être cantonné dans la partie du bus réservée aux « non-Blancs ». Traduit devant une cour martiale, il fut acquitté. À Montgomery même, en mars 1955, une adolescente de quinze ans, Claudette Colvin, outrepasse l’interdit raciste. Mais c’est l’acte d’une couturière anonyme qui sert de déclencheur et de catalyseur. Dès le lendemain de son emprisonnement, les Noirs boycottent la compagnie de bus. Les différentes associations et églises se fédèrent au sein du Mouvement pour le progrès de Montgomery. Elles placent à sa tête un pasteur de vingt-sept ans venu d’Atlanta, Martin Luther King. Le mouvement formule trois ­revendications immédiates : la liberté pour les Noirs comme pour les Blancs de s’asseoir où ils veulent dans les autobus ; la courtoisie des chauffeurs à l’égard de tout le monde ; ­l’embauche de chauffeurs noirs.

KKK

Le Ku Klux Klan se démène comme ­jamais pour endiguer la vague montante du ­mouvement des droits civiques mais, le 4 juin 1956, la Cour fédérale de district condamne les règles ségrégationnistes en vigueur dans les transports. Le maire de Montgomery se tourne vers la Cour suprême. Le 13 novembre, la plus haute juridiction du pays confirme ­l’inconstitutionnalité de cette pratique ­ségrégationniste.

Rosa Parks a gagné. D’une flammèche, elle a embrasé la poudre dormante des consciences. Le mouvement des droits civiques est désormais sur son orbite. Dans son Histoire populaire des États-Unis, l’historien américain Howard Zinn souligne que « Montgomery allait servir de modèle au vaste mouvement de protestation qui secouerait le Sud pendant les dix années suivantes : rassemblements religieux pleins de ferveur, hymnes chrétiens adaptés aux luttes, références à l’idéal américain trahi, engagement de non-violence, volonté farouche de lutter jusqu’au sacrifice ».

Marche des droits civiques

Cette « longue marche » prendra presque une décennie avant d’atteindre sa destination, fera une étape décisive à Washington, en août 1963, pour la grande marche des droits civiques et le discours de Martin Luther King « I Have a Dream ». En 1964 et 1965, le président démocrate Lyndon Johnson signe, respectivement, la loi sur les droits civiques puis la loi sur le droit de vote. Quant à Rosa Parks, elle poursuivit son engagement, travailla avec le représentant afro-américain du Michigan, John Convers. En 1987, elle créa le Rosa and Raymond Parks Institute for Self Development qui organisait des visites en bus pour les jeunes générations en leur faisant découvrir les sites importants du mouvement pour les droits civiques. En 1990, Nelson Mandela, tout juste libéré de prison, lui rend visite à Detroit, où elle a établi domicile.

C’est là qu’elle décède le 24 octobre 2005. Dans tout le pays, les drapeaux sont descendus à mi-mât. Sa dépouille reste exposée durant deux jours dans la rotonde du Capitole pour un hommage public. À l’autre bout du Mall, trône la statue géante d’Abraham Lincoln, le président qui abolit l’esclavage, promesse d’une aube nouvelle pour les Noirs d’Amérique qu’il fallut encore un siècle pour entrevoir.

De l’annonce de son décès à son enterrement, les premières places des bus de ­Montgomery restèrent vacantes. On y trouvait une photo
de Rosa entourée d’un ruban et cette ­inscription : « La société de bus RTA rend hommage à la femme qui s’est tenue debout en restant assise. »

 

Source : humanite.fr