Irlande: la mention « femme au foyer » pourrait disparaître de la Constitution

 Les Irlandaises le 25 mai 2018, émues et heureuses du résultat positif du référendum concernant la légalisation de l’IVG (c) apimages Après avoir ouvert la voie à une dépénalisation de l’IVG, le gouvernement irlandais envisage de supprimer de la Constitution l’article qui consacre la « vie au foyer » des femmes. Décryptage avec Marlène Coulomb-Gully,  chercheuse en communication politique et spécialisée en représentations du genre dans les médias.

« L’État reconnaît que, par sa vie au foyer, la femme apporte à l’État un soutien sans lequel le bien commun ne peut être atteint ».

« L’État s’efforce, par conséquent, de veiller à ce que les mères ne soient pas obligées, en raison de nécessités économiques, de travailler en négligeant les devoirs au sein de leurs foyers. » Cet article 41 de la Constitution de 1937 consacre la notion de « vie au foyer » des femmes en Irlande. En novembre 2018, le gouvernement prévoit d’organiser un référendum pour supprimer ce terme de la Constitution. Cette décision confirme une certaine envie de modernisation de la part du gouvernement irlandais. Premier pas dans ce sens, le 25 mai 2018, lorsque les Irlandaises et Irlandais votaient « oui » à 66% au référendum pour la légalisation de l’avortement. Si l’IVG est légalisée depuis près de 40 ans en France, la dénomination d’un « Ministère de la Famille, enfance et des droits des femmes » avait il y a encore peu de temps, (sous mandat du président Hollande), suscité un tollé. Certaines comme certains y voyaient une réduction du statut de la femme, représentée comme simple mère de famille ou épouse. L’annonce de la nomination de Laurence Rossignol à la tête de ce ministère « familial » avait alors provoqué l’ire de la twittosphère féministe. Exit le ministère de la famille, aujourd’hui il est remplacé par un Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Invisibilisation et occultation du travail des femmes

On n’en est pas encore là en Irlande. Aucun secrétariat ni ministère de ce genre à l’horizon, seul existe un ministère de l’Enfance et de la Jeunesse, tenu par une femme, Katherine Zappone…  « Madame au foyer et Monsieur gagne le pain, on est exactement dans l’invisibilisation, dans l’occultation du travail des femmes dans une société patriarcale où la religion chrétienne est prégnante », s’exclame Marlène Coulomb-Gully, interrogée par Terriennes.  C’est le reflet d’une société non pas paternaliste mais patriarcale et je crois qu’on ne peut pas réagir à ce qu’il se passe en Irlande sans faire le parallèle avec le poids de la religion. Marlène Coulomb-Gully  Si la mention de la religion est présente jusque dans la Constitution, elle s’est traduite récemment par la tardive dépénalisation de l’avortement. Dans la revue universitaire « Le statut des femmes dans le monde », une étude a été réalisée « L’Irlande à deux vitesses : droit des femmes et croissance économique » dans laquelle il est rappelé que l’Eglise a un impact direct sur les lois puisqu’elles sont pour beaucoup régies par la religion catholique.

La Constitution de 1937 commence par ces quelques phrases :

« Au nom de la Très Sainte Trinité, de laquelle découle toute autorité et à laquelle toutes les actions des hommes et des États doivent se conformer, comme notre but suprême,
Nous, peuple de l’Irlande,
Reconnaissant humblement toutes nos obligations envers notre seigneur, Jésus Christ, qui a soutenu nos pères pendant des siècles d’épreuves,
Se souvenant avec gratitude de leur lutte héroïque et implacable pour rétablir l’indépendance à laquelle notre Nation avait droit,
Désireux d’assurer le le bien commun, tout en respectant la prudence, la justice et la charité, afin de garantir la dignité et la liberté de chacun, de maintenir un ordre véritablement social, de restaurer l’unité de notre pays et d’établir la paix avec toutes les autres nations,
Nous adoptons, nous promulguons et nous nous donnons la présente Constitution. »

Extrait de la Constitution irlandaise 1937 Un texte qui inscrit dans la loi le schéma familial dit traditionnel avec un homme et une femme. Un modèle de couple principalement hétérosexué comme le rappelle Marlène Coulomb Gully :« C’est une forme d’hétéronormativité, qui fait que le couple est encore nécessairement un homme et une femme. Là encore cela n’est pas déconstruit vu que c’est un modèle patriarcal. On voit bien tout ce que cela porte en germe: la stigmatisation des couples qui ne se fondraient pas sur ce modèle-là ». Malgré le schéma classique porté par le gouvernement, l’Irlande reste le premier pays au monde à avoir légalisé le mariage homosexuel par référendum. Le vote remonte à 2015, le peuple irlandais répondait oui à 62,1%  à la question :« Le mariage peut-il être contracté suivant la loi entre deux personnes sans distinction de sexe ? »

Les mots en politique: un frein à l’émancipation des femmes ?

Pour l’experte en médias, les mots sont « révélateurs d’un état d’esprit ». « Cette notion semble avoir comme injonction qu’une femme ne peut être qu’au foyer et en ce sens, les mots sont contraignants », souligne-t-elle.  Les mots sont révélateurs et prescripteurs. Il y a toujours une dialectique entre les mots et la société. « Ce n’est jamais que symbolique », estime Marlène Coulomb-Gully, citant comme exemple, « le texte qui a dépénalisé l’homosexualité en France en 1982. Cependant les personnes homosexuelles n’étaient plus criminalisées depuis fort longtemps. Il n’empêche que ce texte était toujours là ! ».

Si la Constitution irlandaise n’a jamais empêché ses citoyennes à sortir du foyer pour aller travailler, il n’en reste pas moins qu’en Irlande, les femmes sont encore sous représentées dans les postes à responsabilité. D’après un rapport de la Commission Européenne datant de 2017, les Irlandaises représentent 13,2% des conseils d’administration des plus grandes sociétés du pays, un taux nettement inférieur à la moyenne l’UE (21,2%). Ce même rapport indique que « l’écart de rémunération global entre les sexes, qui tient compte des désavantages subis par les femmes en terme de rémunération horaire plus faible, d’heures de travail réduites et de taux d’emploi plus faibles en raison des soins aux enfants ou aux proches, s’élève à 34,7%. » Ainsi derrière le symbole, la notion de « femme au foyer » n’encourage guère les femmes à s’élever professionnellement.

Représentation des femmes et des hommes dans les grandes entreprises de l’Union européenne, reflet de la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité. (c) Rapport de la Commission européenne Ce référendum prévu le 24 novembre 2018 pourrait donc dépoussiérer de vieilles lois patriarcales. (Le même jour, le peuple irlandais sera appelé à voter pour ou contre l’abolition du délit de blasphème, ndlr). Femme au foyer et homme au foyer ?

En France, ils sont 5% à inverser les rôles au sein du foyer. Pendant que madame exerce une activité professionnelle, monsieur s’occupe de l’éducation des enfants et des tâches ménagères. Dans les colonnes du Huffingtonpost, William Quentin décrit son quotidien d’homme au foyer. Lui qui a quitté son pays et son travail pour suivre sa femme à l’étranger raconte: « Homme au foyer, je pensais incarner l’homme du vingt-et-unième siècle. Mais ni moi, ni le siècle n’étions prêts! Tel est le constat que j’ai tiré de deux ans d’expérience dans ce rôle encore très souvent dévolu aux femmes, une expérience à contre-courant du modèle traditionnel qui en dit long sur le rapport des sexes aujourd’hui et le regard posé sur les hommes et femmes au foyer. » Dans son témoignage extrait de son livre Un homme au foyer à la conquête du monde (Editions La boîte à Pandorre), il dépeint une mentalité française et étrangère encore trop marquée par le modèle patriarcal.

 

Source:afriquenewsinfo.wordpress.com