``En Guinée, on considère que la fille est un problème et le garçon une solution``

À 17 ans, Kadiatou ne mâche pas ses mots. Cette Guinéenne se bat pour le droit à l'éducation et contre les mariages forcés dans son pays. Nous l'avons rencontrée à Paris, dans les locaux de la fondation Plan International, à l'occasion de la journée internationale des filles. Entretien.

Kadiatou, 17 ans, habitante de Conakry, en Guinée, n'est pas une élève de terminale comme les autres. Si elle prépare un bac littéraire, elle mène aussi une lutte acharnée en faveur de l'éducation des filles dans son pays, et contre les mariages précoces et forcés. Forte d'une «famille très protectrice qui la soutient dans tout ce qu'elle fait», la jeune fille affiche une détermination sans faille. À l'occasion de la journée internationale des filles, le 11 octobre, Kadiatou sera à la tribune à l'Unesco pour rendre compte de son combat. En attendant, rencontre dans les locaux de la fondation Plan International, à Paris.

Vous avez grandi dans une famille que vous décrivez «protectrice». Que voulez-vous dire ?


Ma famille me soutient et me laisse faire ce que je veux tout en me guidant. Chez nous, on peut parler et j'ai cette chance parce que mes deux parents ont étudié. Ça n’est pas le cas dans les autres familles. Le problème dans mon pays, c’est l’éducation. Peu de gens font des études et 80% de la population guinéenne est analphabète. Les jeunes Guinéens sont confrontés à de nombreux défis.

D'où est né votre engagement ?


C'est à cause de mon père. Il se plaint souvent que «les jeunes Guinéens ne foutent rien». J’ai pris ça comme un challenge et j’ai eu envie de lui prouver que je pouvais faire quelque chose. C’est devenu une façon de lutter pour changer la donne dans mon pays. J’ai compris que j’avais de la chance de vivre dans une famille qui m’écoute et qui me donne l’opportunité de faire ce que je veux. Mais, dès que je sors de chez moi, c’est tout le contraire... La plupart de mes amies n’ont pas étudié et sont confrontées à la violence. Elles n’ont pas la possibilité de faire les bons choix pour elles-mêmes.

Et concrètement, comme avez-vous embrasser la lutte contre les mariages forcés et précoces ?

Un jour, à la télé, j’ai vu Hadja Idrissa, la présidente du Parlement des enfants de Guinée et j’ai décidé de la contacter sur le champ. Je l’ai trouvée sur Internet et nous nous sommes rencontrées chez elle. Nous avons alors eu l’idée de fonder le Club des jeunes filles leaders de Guinée. Nous offrons aux jeunes filles un lieu d’échanges, dans lequel elles se sentent suffisamment à l’aise pour aborder leurs problèmes. Au début nous étions sept et actuellement nous sommes plus de deux cents filles sur tout le territoire national.

Quels problèmes sont abordés par les membres de votre club ?


En Guinée, on considère que la fille est un problème et que le garçon est une solution. Or, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes qui partent dans d’autres pays pour trouver du travail. Bien qu’elles soient plus nombreuses, les femmes sont toujours placées au second plan. Elles ne sont pas écoutées, elles sont violentées, violées, excisées, mariées de force. Si davantage de femmes avaient accès à l’éducation, à la formation et à l’information, il y aurait plus de changement dans mon pays.

À l’âge de 15 ans vous avez aidé une camarade à échapper au mariage forcé. Racontez-nous comment cela s’est passé ?

Cette camarade d’école était en terminale L. Un matin sa mère lui annonce qu’elle va être mariée dans cinq jours à un de ses cousins. Comme elle ne souhaitait pas se marier, elle est venue me trouver. C’était ma première action et je voulais vraiment faire de mon mieux, mais c’était très compliqué. Comme elle refusait de se marier, ses parents l’ont chassée de chez eux. Elle est donc venue chez moi, mais ma mère au début, a refusé de l’accueillir car il fallait l’autorisation de la police. On a fait le nécessaire puis on a réussi à faire venir les parents de la jeune fille chez nous. Mes parents ont discuté avec les siens pendant plus de deux heures. À la fin, ils se sont engagés à la laisser étudier et ils ont annulé le mariage.

Pourquoi y a-t-il cette pression sur les jeunes filles à se marier jeunes ?


Pour la famille, c’est d’abord une question de dignité pour éviter les grossesses précoces hors mariage. À cela, s’ajoute les raisons économiques. Souvent, les parents ne pensent pas mal faire. Le mois dernier, nous avons traité le cas d’une fille de 14 ans qui nous a interpelé sur les réseaux sociaux, nous disant qu’on voulait la donner en mariage. On a convoqué ses parents au commissariat et en discutant avec le père, on a compris qu’il ne pensait pas faire du mal à sa fille. Pour lui, c’était une solution à des problèmes d'argent et il voulait la protéger et faire en sorte qu'elle continue l'école. On lui a fait comprendre que la loi interdit les mariages précoces et qu’il risquait deux ans de prison. 22,8% des filles sont mariées avant 15 ans et 54,6% avant 18 ans, soit plus d'une fille sur 2.
63% des mariages (adultes) sont des mariages forcés.
37,6% des filles en âge de fréquenter l'école primaire n'y sont pas scolarisées.
50,5% des filles n'achèvent pas le cycle complet de l'école primaire.
78,2 % des femmes âgées de 15 à 24 ans étaient analphabètes entre 2008 et 2012.
(Source : Plan International)

Donc la justice et la police vous aident dans ce combat ?


Oui, tout à fait. Il y a aussi l’OPROGEM, l’Office de protection du genre, de l'enfance et des mœurs , qui intervient avec nous dans les familles.

Comment intervenez-vous auprès des jeunes ?
Pendant l’année scolaire, nous intervenons dans les écoles un peu partout dans le pays au travers de nos antennes locales. À Conakry, on sillonne les écoles après les cours pour parler avec les jeunes de la sexualité, du mariage, des règles. À partir de ces conversations, on recense les questions abordées puis on crée une plateforme de discussion sur Internet. Pendant les vacances scolaires, on choisit une thématique spécifique comme la législation sur le mariage précoce ou l’excision. Ensuite, on passe dans les salons de coiffure ou les ateliers de couture pour aller au contact des filles et des jeunes femmes. On essaie surtout de toucher celles qui ne sont pas éduquées. Nous utilisons aussi beaucoup Facebook, Instagram et YouTube. Par exemple, on a réalisé un court-métrage sur les premières règles qui s’appelle «La confidence». Ce film invite les filles à en parler avec leur mère. En Guinée, c’est tabou, il n’y a pas d’informations sur ça.

Quels obstacles rencontrez-vous dans votre combat ?

L’approche des gens est vraiment super difficile. Un jour, nous étions dans un salon de coiffure pour échanger sur les méthodes contraceptives avec des jeunes filles. La gérante du salon nous a interdit de parler avec les filles, sous prétexte que nous étions là pour encourager la prostitution. Quand on croise des gens qui nous connaissent, nous sommes menacés. Une fois, notre équipe a été prise en otage dans un quartier de Conakry où elle intervenait dans le cas d’une fille de 13 ans. On a encerclé l’équipe et c’est grâce à un message envoyé à l’OPROGEM qu’on a pu les libérer. C’est vraiment très risqué.

Quel est votre message pour cette 7e Journée internationale des filles ?


Nous, les jeunes filles, sommes fortes. Ayons confiance, nous pouvons diriger ce monde.

Quels sont vos projets après le bac ?
Je compte étudier l’administration des affaires et la politique. Je vais suivre les traces de mon père et partir à l’étranger avant de revenir dans mon pays pour continuer le combat.

 

Source: madame.lefigaro.fr