Abigail Ramiah : Une femme à l’abordage

Abigail Ramiah voulait faire carrière dans l’hôtellerie. Insatisfaite des conditions à Maurice, elle a tenté sa chance sur des paquebots de croisières de luxe où elle exerce à un niveau de direction intermédiaire, soit Documentation Officer.

Elle avait été prévenue en ces termes : «The Documentation Officer is the ship’s bitch». Depuis deux ans qu’Abigail Ramiah occupe ce poste, elle est loin de partager cet avis. «Je suis la première interface avec les autorités portuaires – douane, immigration, autorités sanitaires, représentant local du paquebot – de chaque pays. Et même s’il faut être la première debout pour les accueillir à l’entrée de rade et que cela signifie parfois être levée à 2 heures du matin pour leur fournir toutes les informations relatives au paquebot et aux passagers, j’aime cette responsabilité de contrôle et de rigueur», dit cette jeune femme de bientôt 30 ans, qui reprendra la mer début mai.

Au départ, cette élève du Collège Lorette de Quatre-Bornes, dont le père Jean est un assistant surintendant de police à la retraite, et la mère Philida, coordonnatrice à Caritas, veut travailler comme pâtissière dans un hôtel. La venue d’un chef invité à parler de son métier aux élèves de sa classe la refroidit. Elle n’a nulle envie de passer tout son temps en cuisine. Ce qu’elle veut, c’est être en contact avec des gens de différents pays et univers et avoir la possibilité de voyager

Lorsqu’elle complète sa Form VI, elle a le choix entre suivre des cours en Hospitality Management à l’École hôtelière ou aller étudier l’International Hospitality and Tourism Management en Suisse où vit sa tante. Les Helvètes ayant une réputation d’excellence en hôtellerie, elle opte pour la deuxième possibilité. C’est à Neuchâtel, à l’IHTTI School of Hotel Management, qu’elle passe sa licence. «C’était une révélation pour moi. J’ai réalisé que l’hôtellerie requérait passion et patience. Mes professeurs étaient des professionnels de l’hôtellerie d’affaires, de plage et de paquebots et leurs cours étaient vivants. Au niveau social, j’ai vraiment partagé la culture des différentes nationalités et cela m’a appris la tolérance.»

Sa thèse de fin d’études porte sur la place des femmes dans l’hôtellerie, en particulier au niveau de la direction intermédiaire et de la direction. Elle est surprise de noter qu’elles ne sont pas très nombreuses à ces niveaux-là. Son diplôme obtenu, c’est la croix et la bannière avant de trouver un stage. Lors d’un entretien, elle s’entend dire qu’elle est surqualifiée. Finalement recrutée dans un hôtel d’affaires, elle apprécie son travail de réceptionniste et le contact clientèle. Au bout de six mois, elle tente sa chance dans un hôtel de plage grand luxe. De réceptionniste, elle passe à Shift Leader et gère une équipe de quatre personnes.

Mais Abigail a besoin de défis. Dès qu’elle maîtrise une chose, elle rêve d’ailleurs. «Je voulais être superviseur ou changer de département.» Elle jette son dévolu sur l’événementiel dans cet hôtel où il y a une vacance. Sauf qu’en sus de trouver qu’elle est un «atout fort» pour la réception, le responsable déclare qu’il préfère employer un homme car il a déjà trop de femmes dans son département. À première vue, c’est vrai. Sauf que trois semaines plus tard, c’est une femme et pas elle qui est embauchée. Dégoûtée, elle met un terme à son contrat.

Plutôt que de rester à ne rien faire, elle tentera sa chance sur un paquebot de croisière. Elle fait une demande auprès de CSCS International Manning, agent des Celebrity Cruises, compagnie sœur de la Royal Carribean, à Quatre-Cocos, Flacq. Elle fait au moins 15 déplacements jusqu’aux bureaux, passe tous les entretiens par Skype et est recrutée comme réceptionniste. C’était il y a quatre ans. Elle quitte le pays à destination de New York et de là jusqu’à Fort Lauderdale, en Floride, où elle embarque à bord du Celebrity Silhouette. Sur un paquebot, dit-elle, l’équipage doit connaître les moindres coins et recoins du bâtiment pour mieux orienter les clients, répondre rapidement à leurs interrogations et besoins, maîtriser tous les rouages de la sécurité sur un espace aussi restreint. Sans compter un service encore plus personnalisé que dans les autres types d’hôtels. Elle travaille entre 12 et 13 heures par jour. Si elle aime ce métier, elle est surprise par la réaction de la clientèle très fortunée en quête de compensations en services ou espèces pour des peccadilles. «Ils vont venir se plaindre que leur chambre a été faite avec dix minutes de retard. On aura beau s’excuser et dire que l’on avertira le département de l’hébergement, rien n’y fait. Il faut les compenser par une bouteille de vin, un soin au spa ou une ristourne sur leur prochaine croisière. Et si vous leur faites comprendre qu’ils exagèrent, ils répliquent :‘I paid this much money and I’ll get you fired’.»

Après deux ans, Abigail a de nouveau la bougeotte. Différents métiers de la réception s’offrent à elle mais c’est celui de Documentation Officer qui l’attire. «Dès que nous arrivons dans un port, je dois être à l’entrée du paquebot avec mes fiches et soumettre les clearances par rapport au paquebot, avoir vérifié que les passagers nécessitant un visa en aient un, que le stock du duty-free soit correct, qu’il n’y ait pas de malade à bord.»

Grâce à son travail, Abigail a vu du pays : l’Amérique du Sud, les Caraïbes, la Nouvelle Angleterre, les pays de la Méditerranée, les Fjords norvégiens, l’Antarctique, Israël, etc. «On travaille dur mais on voyage beaucoup et on rencontre des personnes exceptionnelles comme Reince Priebus, Chief of Staff de Trump en croisière juste après l’élection de ce dernier, la chanteuse Demi Lovato et bien d’autres.»

Elle sait qu’elle voudra bientôt découvrir un autre département. À moins qu’elle ne poursuive ses études. «J’ai le potentiel d’aller jusqu’à Guest Relations Manager ou directeur du département Hôtel. Pour ça, il faudra reprendre les études. Je pense à un Masters en Cruise Management ou en Hotel and Spa Management.»

Abigail encourage les Mauriciens à embrasser une carrière sur les paquebots. «C’est bien rétribué. De plus, il n’y a pas de traitement de faveur qui vaille. Et puis, il ne faut pas croire qu’il n’y ait que des métiers en cuisine, en animation et en hébergement qui soient destinés aux Mauriciens. Les portes du Middle Management et de la direction nous sont aussi ouvertes. Il suffit de vouloir travailler…»

 

Source : lexpress.mu