Deborah Mutund, mannequin et activiste XXL

Grâce à ses courbes, cette jeune Congolaise est devenue une égérie de la mode africaine et compte bien en profiter pour faire tomber le tabou de la grossophobie.
   
« Je ne fais peut-être pas une taille 36, mais regardez ce que je suis capable de faire avec mon 44 et mes 105 kilos… », lance d’emblée Deborah Mutund. A Kinshasa, c’est la première fois que la Congo Fashion Week a choisi comme égérie un mannequin aux mensurations XXL. On peut voir son visage « poupon », comme elle dit, sur tous les flyers et panneaux publicitaires de cette huitième édition. « En Afrique, la Congolaise est reconnue pour ses rondeurs. Cette année, je voulais célébrer notre force d’être ronde, explique Marie-France Idikayi, fondatrice de l’événement. Moi aussi j’ai des formes, et je suivais sur Instagram les messages d’encouragement de Deborah pour les personnes fortes Elle est très sûre d’elle et stylée. J’aime son énergie. »

Cette étonnante carrière a commencé grâce à la chanson « Losing You » de Solange Knowles. Nous sommes au Cap, en Afrique du Sud, en 2013. La jeune Congolaise est alors étudiante en communication à Varsity College, une université privée. Elle se promène avec sa sœur et son ex-petit copain au Old Biscuit Mill, un marché installé dans une ancienne biscuiterie du quartier de Woodstock. Dans la foule, Deborah reconnaît Solange Knowles, la sœur de Beyoncé, chanteuse aussi talentueuse que son aînée, et lui demande de faire une photo avec elle. « Solange préparait le tournage de son clip, avec sa mère et son garde du corps. En voyant mon ex-petit copain, elle lui a proposé de figurer dans la vidéo. Comme j’étais la grosse tchatcheuse du groupe, nous avons décidé que je serais l’agent de mode de ma sœur et de mon petit copain. »

Quand elle franchit la porte de l’agence D&A Model Management, un booker la reçoit… et va aussitôt chercher la directrice de l’agence. « A la minute où nous l’avons vue, nous savions qu’elle avait du potentiel, explique Andrea Baptista, la directrice. Elle était très surprise par notre proposition. Le marché  “curvy” [littéralement tout en courbes, NDLR] commençait à se développer en Afrique du Sud. Elle a eu la chance d’arriver au bon endroit et au bon moment. Elle a non seulement un look renversant, mais aussi une personnalité parfaite pour être une formidable ambassadrice des personnes hors normes et inspirer toutes sortes de femmes. »

Une fois ses mensurations prises, Deborah signe un contrat le jour même de son entrée dans l’agence. Elle pose pour des publicités de shampoing pour bébé et de la lingerie, puis participe à 33 campagnes d’affilée pour Donna, une marque sud-africaine. En 2017, elle est le premier curvy model à défiler à la Fashion Week Mercedes-Benz de Johannesbourg. The Star, l’un des grands quotidiens sud-africains, lui consacre alors sa une, en la présentant, dans un jeu de mot, comme un « plus » dans le monde de la mode et des modèles « plus size ». « Etre mannequin grande taille m’a appris que mes ennemis n’étaient pas mes limites ou mes défauts, mais la vision que j’avais de moi-même, raconte-t-elle aujourd’hui. C’est quand même assez chouette d’avoir un gros chèque à la fin du mois pour une grosse… »

A 29 ans, Deborah se définit comme une épicurienne ayant de nombreux péchés mignons dont le fondant au chocolat. « Sur les Champs-Elysées, à Paris, il me faut ma tarte aux pommes et à Kinshasa, mon poulet braisé… » A ses yeux, elle est même une « flambeuse » : « Je me ruine en sacs Vuitton. J’en ai une vingtaine, parce que, pour moi, c’est la classe à la french ultime. J’ai une âme française. Ma chanson préférée, c’est  “l’Hymne à l’amour”, d’Edith Piaf. »
Son poids ? Elle dit ne pas s’en soucier plus que ça : « Cette carrière, c’est de toute façon vingt non pour un oui. Etre mannequin, c’est un peu comme être du bétail. Pendant les castings, on a un numéro. Tu y vas comme un prisonnier et tu tiens ta petite carte avec ton numéro. Tu es un objet… » Tout en précisant avec humour : « Etre grosse, c’est déjà un vrai métier ! L’année dernière, j’ai perdu 15 kilos et certains clients ne voulaient plus de moi. Ils me trouvaient trop mince… »

En République démocratique du Congo, peu de gens connaissaient sa vie de mannequin en Afrique du Sud… jusqu’à ce qu’elle devienne l’égérie de la Congo Fashion Week : « Dans mon pays d’origine, je cachais mon statut. Je trouvais que les mentalités congolaises étaient en retard… » Pourtant, la RDC, premier pays francophone au monde avec ses près de 100 millions d’habitants, est également un pays obsédé par la mode, connu pour être le berceau de la sape.

Cette année, la jeune femme a carrément profité de l’événement pour présenter, pour la première fois, sa propre marque, Deborah. Baptisée « Déchaînée », sa collection regroupe 17 tenues aux couleurs vives, qui vont du 38 au 50. Pour le défilé, Deborah a choisi d’autres mannequins hors gabarit pour former son « curvy squad » (son équipe XXL). « Notre message, c’est que nous sommes des “body activists”. La beauté, ce n’est pas seulement être grand, clair et mince. Pour nous, tous les corps sont beaux », dit celle qui, avant de décrocher son travail, passait énormément de temps à se priver, à manger de la soupe et à aller au sport.

Malgré ses multiples activités, la jeune femme reste attachée à son univers familial. Dixième d’une famille de douze enfants, elle compte parmi ses neuf sœurs, une experte-comptable, une avocate, une architecte d’intérieur et la chanteuse Barbara Kanam. Avec deux d’entre elles, Manuella et Josepha, elle a ouvert le salon de beauté Josepha dans le quartier de Ngaliema. Après la Fashion Week, elle prévoit de créer sa propre agence de mannequinat. Pas évident. « En Afrique du Sud, les mœurs sont plus occidentales. On fait des photos en lingerie, on se sent libre. A Kinshasa, ça choque encore. On associe ça aux filles légères. »

« Aza na nzoto lokola guitare », disent les hommes en lingala quand ils voient passer une femme comme Deborah, et c’est un compliment. Traduisez : « Elle a un corps comme une guitare. » A voir son énergie déployée pour casser les stéréotypes, on se dit que Paris, capitale mondiale de la mode, ferait bien de se mettre au diapason de Kinshasa et… à la guitare.