L’astrophysicienne Fatoumata Kebe, l’une des Françaises les plus influentes au monde, veut « devenir femme de ménage de l’espace »

[…] À seulement 33 ans, l’astrophysicienne Fatoumata Kebe a déjà rédigé une thèse sur les débris spatiaux, lancé une start-up pour optimiser l’irrigation des cultures au Mali et créé une association pour parler astronomie aux élèves de Seine-Saint-Denis. Et elle ne désespère pas de marcher bientôt sur les traces de Thomas Pesquet…

[…] « Selon la Nasa, dès 2025, tout engin envoyé dans l’espace croisera nécessairement la route d’un débris. Ce qui rend urgente la question du nettoyage de l’orbite basse terrestre », alerte Fatoumata Kebe, docteure en astronomie. Ce coup de balai intersidéral, la jeune femme de 33 ans s’y attelle depuis 2012 et le démarrage d’une thèse sur la modélisation des débris spatiaux, soutenue quatre ans plus tard à l’Observatoire de Paris. « Que se passe-t-il quand deux satellites entrent en collision ? Combien de débris sont alors générés ? Pendant combien de temps vont-ils polluer ? Quel sera leur comportement en fonction de l’angle et de la vitesse du choc, de la masse et de la surface de chacun, ou encore des forces d’attraction selon la hauteur à laquelle ils se trouvent ? »

Autant de questionnements que Fatoumata Kebe prolonge aujourd’hui en collaborant avec un chercheur de Washington sur une solution de captation des petits débris orbitaux. […] Après avoir postulé sans succès à l’appel à projets Aerospace Valley (lancé par le Pôle de compétitivité des régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine dédié à l’aéronautique, à l’espace et aux systèmes embarqués, ndlr), l’ambition d’ouvrir son entreprise de nettoyage des orbites basses est néanmoins intacte. Ni la concurrence, ni les écueils financiers et diplomatiques à contourner n’effraient la jeune femme : « Si les tests sont si peu nombreux, c’est d’abord à cause des coûts pharaoniques qu’engendrent ces missions : une dizaine de millions d’euros pour chaque gros débris retiré. Pour être rentable, il faudrait donc en enlever au minimum cinq à chaque voyage, et là on se heurte au droit spatial autant qu’au secret militaire : pas question pour un Européen de toucher un déchet américain, russe ou chinois, et inversement ! »

De quoi laisser définitivement ses espoirs sur le pas de tir ? C’est mal connaître la détermination de la trentenaire, dont l’attirance pour l’espace s’est manifestée dès l’enfance. Faute de découvrir la Voie lactée de ses propres yeux, pollution lumineuse en région parisienne oblige, la première plongée dans les étoiles de Fatoumata Kebe s’est faite dans les encyclopédies Quillet de son père et les documentaires scientifiques télévisés qu’elle impose le week-end à sa fratrie. […]

Restait à être aiguillée jusqu’à eux ; pas évident lorsqu’on appartient à la première génération de la famille à être diplômée. « Le plus difficile, c’est de ne disposer d’aucune information pour s’orienter. Ni à la maison, car mes parents maliens, cariste et femme de ménage, n’avaient aucune expérience des démarches à entreprendre, ni dans mon lycée, à Noisy-le-Sec, faute d’encadrement pour évoquer l’après-bac et les cursus à suivre. Heureusement, une professeure de physique m’a incitée à m’inscrire en mécanique des fluides à l’université Pierre-et-Marie-Curie. »

Une expérience qui l’a poussée à créer en 2014 l’association Éphémérides pour parler astronomie aux élèves des zones sensibles de Seine-Saint-Denis. Au programme : ateliers de découverte de l’espace, visites à la Villette ou à l’Observatoire de Paris, ou encore rencontres avec un ancien directeur de la Nasa dans les ateliers d’assemblage d’Ariane 6 aux Mureaux (Yvelines) : la chercheuse-entrepreneuse ne s’interdit rien, et surtout pas de viser la lune. « L’idée n’est pas d’en faire des astronomes, mais d’élargir leur horizon. De les autoriser à rêver. »

Et pour encourager cette jeunesse à tirer davantage de plans sur la comète, Fatoumata Kebe pourra sans nul doute afficher son opiniâtreté. Celle qui lui a fait passer outre les discriminations, à l’instar d’un aussi tonitruant qu’insultant « On laisse entrer la misère du monde désormais ? » entendu un jour en amphi. […]