Natacha Baco réinvente le wax, ce tissu africain d`origine indonésienne

Ces dernières années, le prêt-à-porter et la haute couture n’en finissent pas d’utiliser le wax. Ce tissu est passé de la rue africaine aux podiums. La créatrice franco-congolaise Natacha Baco a décidé de le moderniser et de se le réapproprier dans son atelier parisien.

Son atelier ressemble à un cocon ouaté au coeur du Sentier. Dans ce bruyant quartier de Paris sont réunis les grossistes en textile de la capitale. Au rez-de-chaussée, une myriade de boutiques vendant des vêtements clinquants. Au-dessus, les ateliers où résonne le roulement des machines à coudre. C'est là aussi que s'activent les petites mains ouvrières, asiatiques souvent. Dans cette atmosphère laborieuse, une créatrice a posé ses aiguilles.  

Natacha Baco ouvre son atelier à ses clientes pour présenter ses modèles et faire les essayages. Depuis 2011, elle y crée des tenues sur-mesure, féminines et modernes en wax, un tissu africain traditionnel devenu à la mode dans le vestiaire occidental. 

Rendre les femmes coquettes

A partir de modèles de base qu’elle a conçus, cette créatrice de 41 ans ajuste les coupes en fonction des goûts de ses clientes. A chaque fois, elle cherche à «magnifier la femme », et à son « humble niveau, la rendre plus coquette ».  

Ma famille me considère féministe.

Ce jeudi de début septembre 2016, c’est l’effervescence dans son atelier. Tout en répondant à nos questions, elle fignole le repassage d’une robe et d’une jupe qu’une de ses clientes doit venir récupérer. « Mince j’ai oublié une étiquette ». Et la voilà qui court chercher une aiguille et du fil en nous adressant un « Mettez-vous à l’aise, voulez-vous boire quelque chose ? ». « Je fais toujours plusieurs choses en même temps », souligne-t-elle alors qu’elle est seule à tenir les rênes de sa marque lancée sous le nom « By Natacha Baco » en 2013. Création, réalisation, vente, valorisation sur son site Internet, communication… C’est elle qui fait tout. 

Celle qui se définit comme « une femme, une maman de trois filles, et une entrepreneure active » parvient à mêler ses trois vies. « J’ai toujours aimé et défendu l’entrepreunariat au féminin », insiste-t-elle. Dans sa famille, tout le monde la considère comme « féministe », « parce que j’ai été élevée par ma grand-mère au Congo Brazzaville. Après s’être séparée de mon grand-père, elle n’a jamais voulu se remarier. Elle a voulu travailler, elle était infirmière. Pour l’époque, c’était mal vu. » 

Pour se lancer à son compte dans la création, Natacha Baco a dû laisser de côté ces critiques et les doutes de son entourage, soutenue par ses filles de 9, 15 et 20 ans «quand je créé un modèle, elles valident et me font un retour critique. » 

Le wax s'impose dans ses créations  

A l’origine, rien ne la prédestine à la mode, elle est commerciale. C’est lors d’une période d’inactivité qu’elle décide de suivre une formation de six mois en mode et modélisme. « En faisant beaucoup d’essais, à force de coudre et découdre, j’ai appris aussi sur le tas ». Impossible désormais pour elle de revenir à son premier métier, elle décide de se consacrer à la mode. Sa marque, « By Natacha Baco » voit le jour en 2013.  

Dans ses créations, le wax s’impose. Ce tissus coloré, très chamarré lui permet de tisser un lien avec ses origines congolaises, de renouer avec un pays qu’elle a quitté quand elle avait 9 ans. 

« J’ai passé mon enfance en Afrique, élevée par ma grand-mère jusqu’ à ce que je vienne en France. Je la voyais porter le pagne classique à la maison, et le super fax quand elle sortait. Toutes les femmes arboraient aussi du wax haut de gamme pour les grandes occasions, pour se faire vraiment belle. » 

Un tissu indonésien

Le wax a la particularité d'être imprimé à la cire ("wax", en anglais) des deux côtés du tissu en coton. Il donne alors des tissus colorés, couverts de motifs. Si le wax a connu un véritable essor en Afrique, il a en réalité des origines indonésiennes. Des colons hollandais s'inspirent des batiks indonésiens dont les couleurs et les motifs séduisent les soldats ghanéens qui combattent dans leurs rangs. Ce sont eux qui vont le rapporter en Afrique, même si le wax continuera pendant un temps d'être produit par les Hollandais désormais concurrencés par les fabricants chinois.

Aujourd'hui, ce tissu conquiert les podiums des maisons de haute couture ou de prêt-à-porter comme celle de Burberry ci-dessous : 

Un tissu de traditions

Pour Natacha Baco le wax est « un tissu comme un autre » et pourtant très remarqué. « Quand je me suis mariée, il y a 12 ans, j’ai voulu me marier en wax et demander à mes invités de porter ce tissu à la mairie. Cela a interpellé beaucoup de gens. Je me suis rendue compte, à mon mariage, que beaucoup de femmes noires avaient des a priori sur les tissus de wax. Elles portaient plutôt ce tissu lors d’événements. Avec le temps, je me suis rendue compte qu’il fallait démocratiser le wax. On s’habille bien en liberty ou en tartan, on ne se pose pas de question, alors pourquoi pas en wax ! » 

Entre tradition et modernité

Dans ses créations, elle mêle tissus traditionnels et coupes modernes qui séduisent une clientèle de jeunes femmes actives, souvent entrepreneures, comme elle. Alors que sa clientèle comptait une majorité de femmes noires, ce sont désormais beaucoup de clientes blanches qui lui achètent ses modèles coûtant entre 80 et 220 euros. 

Comme Margaux Pecorari, 27 ans, entrepreneure. Elle vient récupérer deux tenues qu’elle a faites faire pour un mariage. « Je ne connaissais pas le wax avant de découvrir la griffe de Natacha Baco. J’avais une image sûrement obsolète des tenues traditionnelles africaines que je vois quand je vais rendre visite à ma tante au Congo. Mais je trouve ses modèles modernes et intemporels très féminins car ils mettent en valeur les formes des femmes sans être vulgaires. » 

« Noires ou blanches, ce qu’elles aiment, c’est la coupe moderne », souligne Natacha Baco. « Elles ne viennent pas pour de l’exotisme ».

La créatrice s’approprie un tissu pourtant chargé parfois en symbole en Afrique. « Ces tissus ont des significations. Par exemple, quand on a des oiseaux dans une cage sur un tissu wax, cela signifie que la femme qui le porte n’est pas libre. Il était impensable qu’une femme mariée le porte. 

Si je ne m’attache pas à ces symboles dans mes créations, la génération de ma grand-mère ou de ma mère, elle y faisait très attention. »  

A travers ses modèles, Natacha Baco traduit une certaine émancipation des traditions de la mode africaine et valorise la liberté des femmes à jouer avec leur image, leurs formes, leur héritage culturel. 

 

Source : information.tv5monde.com