Couple : en finir avec la peur de l`abandon

On redoute une rupture sans raison. Comme toutes les peurs irrationnelles, celle-ci nous vient de l’enfance.

Tôt ou tard dans une relation amoureuse surgissent nos angoisses, nos doutes. On s’était juré d’être plus relax cette fois-ci, forte de la leçon tirée de l’histoire précédente. Résultat : on a le nez collé au smartphone, guettant ses textos, ses « je t’aime ». Rien ne nous rassure vraiment, on interprète tout ce qu’il dit ou fait dans la crainte permanente de le perdre, d’être détrônée par une autre. Le théâtre est en place, répétant inlassablement de l’élu sont les signes principaux de l’angoisse son scénario catastrophe. On risque une chose, in fine : faire peur à notre amoureux avec ce trop plein d’anxiété, de demande d’amour. Pourquoi l’angoisse d’abandon refait-elle cycliquement surface ? Comment l’empêcher de prendre de l’importance ? Le point avec Catherine Bensaid, psychanalyste et auteure de L’amour plus fort que ta peur (Philippe Rey).


LE PROFIL TYPE DE L’ABONNÉE À L’ANGOISSE D’ABANDON

Normalement, si un amoureux ne se manifeste pas, c’est qu’il a de bonnes raisons. Il croule sous le boulot, gère les urgences… Pour l’angoissée, s’il fait silence radio, c’est qu’il ne l’aime plus, point. « Hypersensibilité aux marques d’affection, dépendance affective vis-à-vis de l’élu sont les signes principaux de l’angoisse d’abandon », commente Catherine Bensaid. Certains profils psychologiques y sont plus sujets que d’autres : c’est la fille qui veut plaire à tout prix, avoir tous les talents, qui se maquille à l’aube pour être belle au réveil. C’est aussi celle qui mise tout sur l’être aimé, faisant passer le reste – boulot, amis, cours de poterie ou de danse afro-cubaine au second plan « avec toujours une idéalisation de l’aimé et une tendance à souffrir », précise la psychanalyste. Celle encore qui veut être la priorité dans la vie de l’autre, non pas par narcissisme mais par besoin de réassurance. Enfin est prédisposée à l’angoisse d’abandon celle qui voit des rivales partout, se comparant aux autres femmes, surtout aux plus jeunes, plus blondes, plus diplômées et avec une petite voiture de course rouge.

QU’EST-CE QUI SE REJOUE DE L’ENFANCE, FINALEMENT ?

On a tendance à reproduire des situations qui nous sont familières. Le cas le plus typique étant le scénario dramatique où, enfant, on a vécu la maladie ou le décès d’un des parents, ou leur divorce difficile, un père ayant laissé son foyer pour en refonder un ailleurs, délaissant les enfants du premier lit. « Le père donne le modèle de l’homme, de l’époux, du père.
C’est dire si son rôle est important », souligne Catherine Bensaid.
Et puis d’autres situations, moins dramatiques peuvent nourrir un sentiment d’abandon et fabriquer de la souffrance durable. Ce peut-être la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur (cette impression vache de ne plus exister à côté du bébé) ou une séparation physique mal gérée : on est partie en séjour linguistique, on est rentrée d’une humeur de chien, avec des kilos en plus ou en moins et zéro progrès en anglais – symptômes classiques d’un échange scolaire raté, d’une névrose de l’abandon installée qui se réactivera ensuite à chaque fois qu’un lien affectif se mettra en place et qu’on souffrira de distance.
Un déménagement mal préparé peut aussi marquer négativement. Garçons et filles ne sont cependant pas égaux devant l’angoisse ; si, enfant, il a vécu une situation d’abandon, à l’âge adulte, un homme va réagir en étant possessif, tyrannique (sa phrase fétiche : « t’as pas intérêt à me quitter ). Une femme, elle, sera davantage dans la remise en question de soi, dans l’auto-dévalorisation.

QUEL TYPE DE PARTENAIRES ATTIRE CETTE STRESSÉE ?

Un homme à femmes, qui va l’insécuriser, la tromper, finalement la quitter (comme ça, elle pourra dire qu’elle avait raison, l’amour finit mal en général). Un taiseux, distant, incapable de dire « je t’aime », la confortant dans l’idée qu’elle n’est pas digne d’amour. Un narcissique qui cherche en l’autre un effet miroir mais évite le vrai échange, l’investissement affectif.
Moins on se sent en confiance avec l’autre et plus le syndrome de l’abandon va se manifester, plus on va vouloir des preuves d’attachement, d’exclusivité, des projets communs. Et plus l’autre va avoir peur et mettre de la distance pour respirer, réfléchir. Le compagnon sent tôt ou tard que la demande d’attention trahit une souffrance qui le dépasse, comme une facture qui lui serait adressée par erreur. Et tout le monde n’est pas taillé pour supporter ça. Globalement, on est moins dans l’angoisse d’abandon le jour où on choisit un(e) partenaire qui nous rassure vraiment et qui a une qualité de présence et d’écoute. S’il est très occupé, il saura anticiper et avoir les mots. Un « je travaille beaucoup mais je pense à toi », avec la promesse ferme d’un dîner aux chandelles mercredi prochain, cela suffit souvent à apaiser bien des inquiétudes.

COMMENT PALIER À L’ANGOISSE D’ABANDON ? 

Premier objet à mettre sur pause : le smartphone. À être joignable H24, on perd la notion de ce qui est urgent et ce qui peut attendre. Et décider de mettre soi-même une distance, c’est autre chose que de la subir. Il suffit pour cela d’activer le mode hors ligne. Exit aussi les « likes » sur FB, Insta : aujourd’hui on en a 18, hier 30 ; hier notre amoureux nous avait « likée », aujourd’hui rien… Ce comptage fabrique de l’angoisse. Deuxième bonne décision : se défocaliser de l’être aimé, non pas en se lançant dans une autre relation affective « mais en investissant d’autres domaines, des centres d’intérêt, des amitiés », recommande la psychanalyste. Il est temps de vivre un peu pour soi et moins par rapport à l’amour, à l’autre, en se dorlotant, en s’occupant d’une ruche urbaine, en montant l’association caritative de nos rêves, etc.

LE PLUS : 3 PISTES POUR DÉCOMPRESSER 

S’interroger sur ses choix. N’a-t-on pas choisi quelqu’un qui réveille nos peurs ? Voir si on peut réaménager
la relation afin qu’elle appuie moins là où ça fait mal.
Éviter le triptyque « reproche-demande-attente ». S’il est distant, inutile de le mitrailler de reproches. Voir plutôt quelles seraient les raisons objectives de son attitude (et extérieures à soi). La demande d’attention et l’attente fébrile qui en résulte sont tout aussi vaines. L’autre sera au rendez-vous quand il sera disponible.
Prendre de la distance. Passer dans la pièce d’à côté le temps de s’apaiser, de comprendre que la relation peut être mise entre parenthèses sans pour autant s’arrêter. C’est toute l’histoire du « Fort-Da » de Freud, le jeu de la bobine que l’enfant fait apparaître/disparaître et qui symbolise l’alternance de la présence/absence de sa mère.