Je l'aime, mais ce n'est pas réciproque : comment s’en sortir ?

Rien de plus déroutant qu’un coup de foudre à sens unique. Non seulement on a l’impression de ne pas être à la hauteur, mais on a tendance en plus à entretenir un espoir, révélateur d’une certaine maltraitance envers soi-même. Faut-il s’acharner à séduire l’autre ? Faut-il couper les ponts ? Éléments de réponse avec deux psychologues.

L’être aimé comme "seul remède à notre malheur"

Tomber amoureux, c’est bien… Quand c’est réciproque, c’est mieux. Si l’amour à sens unique est si douloureux, c’est parce que les émotions sont décuplées, avec leur lot de négativité : "Les sentiments amoureux peuvent être très puissants, explique Maria Hejnar, psychologue clinicienne et psychanalyste.  Nous recherchons constamment un contact avec la personne aimée, nous aspirons à la voir, nous nous projetons dans une histoire commune. Si l’amour éprouvé n’est pas réciproque, face à l’indifférence de l’autre, nous pouvons ressentir douloureusement plusieurs sentiments : le manque, la frustration, la solitude, la déception voire le désespoir. C’est pourquoi nous sommes persuadés que l’être aimé est le seul remède à notre malheur".

Quelles conséquences ?

Alors qu’un amour partagé offre une "réassurance narcissique", des sentiments amoureux non réciproques peuvent entraîner une perte d’estime de soi, plus ou moins durablement. La personne amoureuse "perd de l’éclat à ses propres yeux", analyse la psychologue, qui précise que ces conséquences "peuvent persister plusieurs années après sa survenue, surtout lorsqu’il s’agit du premier amour". 
Dans certains cas, la situation peut s’inverser : "La personne passe de l’amour à la haine envers cet autre qui l’a déçue" (ce que l’on appelle le renversement de la pulsion en son contraire). 
Dans d’autres, plus extrêmes, cette expérience peut même mener à la dépression. "La relation entre dépression et déception amoureuse est couramment observée dans la clinique, affirme Maria Hejnar. Cela arrive surtout chez des personnalités marquées déjà par une fragilité narcissique".

Des schémas qui se répètent de manière inconsciente

La fragilité narcissique peut résulter d'un manque affectif pendant l’enfance. En effet, pour la psychologue, "la ferveur amoureuse ne croît que rarement lorsque le sentiment n’est pas renforcé par le sentiment réciproque, sauf chez des personnes qui ont vécu des relations affectives de mauvaise qualité dans leur enfance.  L’autre manquant représente alors également les figures parentales vécues comme non aimantes. Par conséquent, cela amplifie la douleur de l’attente et de la déception". Avec deux résultats possibles : la dépendance affective ou la peur de l’engagement. "Il arrive donc que les personnes qui ont peur de s’engager dans la relation intime se débrouillent inconsciemment pour éviter une relation et restent dans le schéma d’une relation impossible. Inconsciemment, elles vont s’orienter vers un objet d’amour inaccessible".
Une situation qui a alors tendance à se répéter et que Véronique Kohn, psychologue spécialiste des relations amoureuses, n’hésite pas à qualifier de "maltraitance envers soi-même" : "On ne s’aime pas suffisamment pour dire stop à une relation où l’on ne reçoit pas ce dont on a besoin. On alimente l’espoir que la personne change, nous aime enfin, et ça va de pair avec l’idée que l’on ne mérite pas mieux que cela".

Faut-il avouer ses sentiments ?

Surtout lorsque cet amour n’est pas dévoilé et que l’on n’est donc pas fixé.e sur la situation. "C’est assez fréquent, explique Véronique Kohn. La personne amoureuse n’ose pas demander à l’autre ce qu’elle ressent par peur du rejet. Elle n’est pas en capacité de lui demander directement ce qu’elle ressent, ce qu’elle veut ou pas. Du coup, elle s’accroche à un espoir qui la tue". Mais le sentiment de rejet est en réalité déjà présent, et entraîne "une profonde blessure, ajoute Maria Hejnar.  Le désir manquant de l’autre donne le sentiment de ne pas être aimé et par conséquent de ne pas être digne d’amour. L’autre paraît alors cruel dans son indifférence".

Mieux vaut donc ne pas rester dans le silence "et dans l’espoir infondé d’être aimé.e en retour. Lorsqu’on aime, certains gestes ou mots de la personne aimée peuvent être interprétés comme des intentions amoureuses", explique la psychologue. Tandis que la personne amoureuse "se trahit généralement par le regard, le discours ou les gestes". 
Peut-on pour autant reprocher à l’être aimé d’entretenir cette flamme et d’avoir sa part de responsabilité dans cet amour qui ne débouche sur rien et l’espoir qu’il constitue ? Pour Maria Hejnar, "l’autre n’a aucune responsabilité, sauf s’il abuse de cette situation. La personne aimée est parfois avertie par plusieurs signes, mais elle peut rester inconsciente, elle-même dans le déni ou incapable de croire qu’elle puisse être aimée".

"L’autre n’a aucune responsabilité"

Une fois les sentiments révélés, comment l’autre doit-il réagir ? "Avec tact, en évitant de blesser inutilement. Elle doit cependant réagir de manière honnête, sans dissimuler ses sentiments, sans faire semblant. Elle ne doit pas rester dans les non-dits". Elle peut s’éloigner quelques temps pour aider la personne amoureuse à "faire le deuil de l’espoir" de cette relation amoureuse : "Il s’agit alors de comprendre que cela ne signifie pas la perte d’espoir d’être aimé par quelqu’un d’autre", précise Maria Hejnar. Mais cette dernière insiste : cette distanciation n’est pas de sa responsabilité, et c’est à la personne amoureuse de fournir un véritable "effort de désinvestissement". ... Lire plus sur Doctissimo