Défilé/Be Free : quand la liberté féminine s’exprime

A Abidjan, ce n’est pas habituel qu’une galerie d’art contemporain reçoive un défilé de mode. Mais ce vendredi 26 avril 2024 en début de soirée, un air de liberté a soufflé à la LouiSimone Guirandou Gallery à Cocody-Mermoz. Le chic espace était le théâtre d’une exceptionnelle présentation de vêtements de la dernière collection de la marque Ysand. Dans la salle d’exposition de la galerie, les belles et grandes toiles sourient aux spectateurs installés de part et d’autre mais ceux-ci n’avaient d’yeux que pour les mannequins. Qui portaient les modèles de la collection ‘’Be Free’’, être libre. Ce n'était pas la liberté en tant que telle. Mais c'était le processus de liberté. « Je me dis qu'on n'aura jamais la liberté mais le plus important, c'est de se battre pour atteindre une forme de liberté pour pouvoir s'exprimer dans tous les sens du terme », a expliqué Isabelle Andoh Vieyra, la promotrice du label Ysand à la fin du défilé. Pour réaliser sa collection, elle s’est inspirée du film ‘’Harriet’’ de Kasi Lemmons. Le biopic raconte l'histoire de Harriet Tubman, qui a aidé plus d'une centaine d'esclaves à fuir le Sud des Etats-Unis après s'être elle-même échappée en 1849. Et comme le long métrage, la collection d’Ysand parle de l'esclavage à la base et on brise ensuite les chaîne. « C’est un sujet très intéressant car le fait de briser ses chaînes nous ramène à la vie sociale, familiale... Vous savez, on est souvent emprisonné dans notre propre personnalité », soutient la créatrice.

Spécialisée en prêt-à-porter depuis 17 ans, Isabelle Andoh monte toujours ses créations à partir d'un thème. Avant d'être styliste-modéliste, elle se considère comme une artiste à part entière. Ce qui lui permet d’être libre dans son travail où elle crée en fonction de ses émotions, de ce qui la touche, de ce qu’elle traverse, de ce qu’elle constate... Dans la collection ‘’Be free’’, elle veut s’exprimer et dire les choses avec ses vêtements. « Souvent, on n'arrive pas à dire qui on est, à s'exprimer. Je veux lutter contre cela. On est qui on est. On s'accepte et on devrait être libre de dire qui on est », dit-elle.

Sans vulgarité et le tout dans le naturel et le feeling, les modèles de sa collection interpellent. En réalité, les tenues sont inspirées de celles que portaient les colons ou des colonisateurs. Ils avaient des costumes double boutonnage, rayés avec chemises. Chez Ysand, la femme africaine prend le costume du colon et se l'approprie. Et à partir de ce costume, elle commence à se libérer. Cela se dégage à travers des chemises fermées au début mais ouvertes à un moment donné du défilé. Deux tableaux ont émerveillé l’assistance. L’un qui présentait des vêtements ocres avec le pagne de couleur jaune qui rappelle le soleil. L’autre était constitué de tenues très modernes. « Là, on a pris le costume et on est prête à se battre, à prendre la place qu'on doit prendre. On s'est détachée de ses chaînes et maintenant, on y va. On n'est pas totalement libre mais on est sur le chemin », dévoile la créatrice et situe le choix de la galerie : « Je veux parler d'arts. Je trouve que le fond qu'on voit est très expressif par rapport à ce que je veux montrer. Ce sont des ombres car on est encore dans la recherche de ce qu'on veut ».

A la base, elle a fait ‘’Be Free’’ pour créer un mouvement. Ça devait être un projet collectif mais après elle a voulu se lancer seule pour monter ce qu’elle voulait. Qu'on soit chanteur, peintre, danseur, on doit s'exprimer. « Si on doit faire bouger les choses, il faut les montrer avec émotions. Il faut que ça touche ton intérieur et que ça te parle. C'est un travail qu'on ne fait pas seul. On le fait avec les autres pour que ça soit interactif », souhaite-t-elle. Dans sa présentation, elle a invité Amee Slam qui a habillé le défilé avec ses belles paroles posées sur un rythme scandé. Après une telle prouesse qui a mis tout le monde d’accord, on ne peut qu’être satisfaite. « Je ressens la liberté car j'ai dit et montré ma façon de voir les choses. Je ne voulais pas faire de défilé comme on a l'habitude de le faire. Pas de MC. Tout s’articule autour du thème. Et c'est fort en émotion. Je pense avoir rempli ma mission car j'ai ressenti de bonnes vibrations dans la salle et la réaction du public me dit que c'est positif », s’est réjoui la propriétaire de la marque Ysand.

Depuis son installation en tant que professionnelle en 2007, Isabelle Andoh n’a pas un calendrier prédéfini au cours de l’année. Elle avance, se perfectionne et crée les tendances à ses goûts. « Je propose car à chaque fois, il faut qu'il y ait de la nouveauté. D’où le Bee free aussi. Souvent, quand on organise les choses, ça ne se passe pas comme on le veut. Il faut juste avoir une vision et on s'aligne en fonction de ce qui se passe. On s'adapte. Ça ne sert à rien de se stresser. Mon leitmotiv est : à chaque jour suffit sa peine », conclut-elle.