Ebola: peut-on donner le sérum expérimental à tous les malades ?

Cette question d'éthique sera débattue par une quinzaine d'experts internationaux, lundi prochain, à la demande de l'Organisation mondiale de la santé. Ils devront rendre un avis le soir même.

Confrontée à l'épidémie grandissante du virus Ebola, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se retrouve devant une situation sanitaire inédite. «Nous avons une maladie avec un niveau élevé de mortalité sans aucun vaccin approuvé et certifié», résume le Dr Marie Paule Kieny, directrice générale adjointe de l'OMS. Le traitement ZMapp ayant donné des résultats positifs sur les deux personnes atteintes du virus aux Etats-Unis, des experts ont demandé à l'OMS de l'utiliser à grande échelle et rapidement. Que faire face à cette situation d'urgence? Peut-on administrer à toute une population un traitement qui n'a jamais été testé sur l'homme et dont on ne connaît pas l'efficacité, ni même l'innocuité? Si oui, qui pourra en bénéficier, sachant que les laboratoires ne pourront pas en produire suffisamment pour tout le monde?

Une quinzaine d'experts donneront leur réponse lundi

Pour répondre à ces questions éthiques, l'OMS a décidé de regrouper les meilleurs experts du monde. «Nous devons demander à des spécialistes de l'éthique médicale de nous donner des lignes de conduite pour une politique responsable», explique encore le Dr Marie Paule Kieny. Pour ne pas perdre de temps, l'OMS est déjà en train de constituer une liste d'experts. Au total, ils devraient être une quinzaine, réunis lors d'une téléconférence. «Ces spécialistes débattront pendant toute la journée de lundi avant de rendre leur avis le soir même», explique-t-on à l'organisation, dont le siège est à Genève.

Parmi les experts présents dans le comité, on devrait retrouver des médecins, des chercheurs mais aussi des philosophes, des sociologues ou encore des psychologues. «C'est important que soit représentée la société civile, explique le Pr Christian Hervé, directeur du laboratoire d'éthique médicale à l'université Paris-Descartes. Cela permet de légitimer l'avis d'un tel comité.»

Pas assez de traitements pour tout le monde

Les questions posées aux experts seront des plus délicates. «Ce sera un vrai dilemme entre M. Précaution et Mme Pragmatique, prédit le Pr Bernard Bégaud, médecin pharmacologue. Soit vous utilisez un produit sans en connaître les effets secondaires, soit vous préférez poursuivre les tests et les recherches sur le traitement avant de l'administrer, au risque que cela prenne du temps alors que des personnes sont en train de mourir.» Dans le cas d'Ebola, «il faut savoir que 40% des malades vont survivre, rappelle Sylvain Baize, directeur du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales de l'Institut Pasteur. Ainsi, on prend forcément un risque en leur donnant un traitement dont on ne connaît pas les effets.»

À qui pourrons-nous administrer ce traitement? Et combien? Voilà d'autres questions auxquelles devront répondre les spécialistes. «Or, on sait qu'il n'y aura jamais assez de traitements pour tout le monde, constate Sylvain Baize. Les laboratoires ne sont pas en mesure d'en produire suffisamment et en aussi peu de temps. Il faudra donc faire des choix.» En attendant de connaître la réponse des spécialistes, Map Pharmaceuticals, société américaine qui a développé le sérum en collaboration avec la canadienne Defyrus, a fait savoir qu'elle essayait d'augmenter sa production.

Au final, la position des experts devrait déterminer la ligne de conduite de l'OMS dans les prochaines semaines. L'organisation internationale étant habituée à donner des recommandations graduées, en fonction des pays, «il est fort probable que les experts soient dans le compromis et rendent un avis proportionné», pense le Pr Bégaud, qui imagine différents scénarios. «Cela m'étonnerait qu'ils refusent catégoriquement d'utiliser ces traitements expérimentaux. En revanche, il est possible qu'ils ciblent des populations dans des zones hautement contaminées ou qu'ils privilégient le traitement du personnel médical», suggère le médecin.

Selon un dernier bilan de l'OMS en date du 4 août, 932 personnes sont mortes sur les 1711 cas d'infection pour cette épidémie d'Ebola touchant surtout trois pays d'Afrique de l'Ouest, ont indiqué mercredi les autorités sanitaires américaines (CDC). Elles ont porté, ce même jour, leur alerte sanitaire au niveau 1, le plus élevé.

Source : le figaro.fr