En Côte d’Ivoire, la Ligue donne un nouveau souffle aux combats féministes

Depuis le talk-show sur le viol qui a choqué le pays, la parole des femmes se libère, encouragée par une nouvelle génération de militantes très actives sur la Toile.

Début septembre, Lucie* s’est rendue au commissariat de son quartier à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, pour porter plainte contre son mari violent. Après des années d’hésitation, la jeune femme a surmonté sa honte et ses peurs pour aller raconter son calvaire aux policiers. Dans la foulée, l’homme a été interpellé.

Lucie explique avoir puisé son courage dans les témoignages d’autres femmes, qui se sont multipliés ces derniers jours. Elle s’est aussi sentie portée par la mobilisation d’une nouvelle génération de militantes, celles de La Ligue ivoirienne des droits des femmes, plus que jamais décidées à bousculer l’opinion publique. « Depuis l’affaire à la télévision, elles sont partout. »

« L’affaire » dont parle Lucie remonte au 30 août. Sur le plateau d’une émission populaire de la Nouvelle Chaîne ivoirienne (NCI), un invité, présenté comme un « ancien violeur », s’est vu encourager par le présentateur, Yves de Mbella, à simuler un viol sur un mannequin en plastique. L’obscénité de la séquence a fait la une des journaux ivoiriens et le tour du monde. La justice s’est saisie du dossier et les deux hommes ont été arrêtés, déférés au tribunal et condamnés.

Pétition, sit-in, réseaux sociaux

Dans cet enchaînement ayant suivi le scandale, les militantes des droits des femmes ont joué les premiers rôles. Particulièrement celles de la Ligue, une association fondée en 2020 par dix jeunes Ivoiriennes, aux avant-postes de tous les combats féministes des derniers mois. Ce sont elles qui ont initié, dans la foulée de l’émission controversée, une pétition puis une plainte contre le présentateur de l’émission. Elles, encore, qui ont organisé quelques jours plus tard un sit-in devant la chaîne de télévision, réclamant de la sanctionner au même titre que l’animateur.

Leur slogan, « Pour qu’elles ne soient jamais seules », est diffusé partout où elles peuvent : sur les marchés, dans les lycées, lors de cours d’autodéfense organisés dans les quartiers. Et plus encore sur la Toile, où elles sont très actives. « Le web c’est un terrain, tout autant que la rue », explique Bintou Mariam Traoré, membre de la Ligue et à l’origine du hashtag #VraieFemmeAfricaine, qui a inondé les réseaux sociaux début 2020 pour dénoncer et tourner en dérision les injonctions faites aux femmes africaines.

« Il est plus simple pour les femmes de briser le silence sur Internet que dans leur famille. On leur montre que là aussi, on se tient à leurs côtés », explique celle qui n’hésite pas à porter le fer contre les auteurs de propos sexistes en ligne. Les membres de la Ligue se servent volontiers de l’effet « caisse de résonance » des réseaux sociaux pour médiatiser les affaires. Comme en 2020, quand un religieux catholique a été accusé d’abus sexuels sur des fidèles. Mais aussi plus récemment, en mars, lorsqu’une ancienne star du football ivoirien a été interpellée pour viol. Leur objectif est de voir les agresseurs traduits en justice.

Des émules au Bénin, au Mali et au Tchad

« Des associations qui luttent contre les violences faites aux femmes, ce n’est pas nouveau, ça s’est beaucoup développé lors de la décennie de crise, de 2002 à 2010 », rappelle Annick Gnazalé, sociologue et chercheuse sur les questions de viol à l’université Alassane-Ouattara de Bouaké. Mais la vraie nouveauté, leur principale force, explique-t-elle, « c’est leur maîtrise des réseaux sociaux et leur compréhension du rôle que ceux-ci peuvent avoir dans leur combat ». Au point de faire des émules dans la sous-région : ces derniers mois, des « Ligues » ont vu le jour au Bénin, au Mali et au Tchad.

Malgré ces avancées, les membres de l’association regrettent que trop souvent, la justice ne se saisisse que des affaires « qui font du bruit » et se désintéresse des autres, pourtant très nombreuses. Depuis le début du mois, Bintou Mariam Traoré indique recevoir au quotidien jusqu’à cinq témoignages de femmes victimes de violences sur la messagerie de la Ligue. A celles-ci, les militantes proposent un soutien juridique, psychologique et financier grâce à un réseau d’avocats et de psychologues.Lire plus sur lemonde.fr