Travail : est-ce bien de lier des liens forts avec nos collègues ?

Dans « Les Situations difficiles au travail »*, Matthieu Poirot, dirigeant de Midori Consulting, agence de conseil en qualité de vie et travail, propose des outils pour prévenir les conflits au boulot.

 

MÊME SI LES CARRIÈRES PROFESSIONNELLES SONT DE PLUS EN PLUS « FLUCTUANTES », CONSTATEZ-VOUS QUE LE TAUX D’ANCIENNETÉ RESTE IMPORTANT DANS CERTAINES ENTREPRISES ?

Tout à fait, bien plus qu’on ne l’imagine. Plus il y a d’historique au sein d’une entreprise, plus il existe ce qu’on appelle des « dettes de reconnaissance ». On estime un jour avoir rendu service à une personne, et on attend implicitement qu’elle vous rende la pareille. Cela crée un passif au sein de l’organisation, avec lequel il faut ensuite travailler. Il y a aussi, sur le long terme, les conflits de loyauté à gérer : comment composer avec le fait d’être ami avec l’ennemi de mon ami ? Un peu comme dans une cour de récréation ou une famille élargie.

L’ENTREPRISE NE SERAIT-ELLE QU’UN LONG REPAS DE MARIAGE, OÙ IL FAUDRAIT ÉVITER DE PLACER LA COUSINE LOUISE TROP PRÈS DE L’ONCLE GASTON ?

Il y a de cela. On met de plus en plus d’affectif dans le travail, qui est devenu une partie de nous-même. Il s’agit de l’un des derniers espaces de socialisation. Il tient un peu lieu de communauté, de clan…

MAIS, DANS UNE COMMUNAUTÉ OU UN CLAN, IL Y A UN CHEF. N’EST-CE PAS À LUI OU À ELLE DE METTRE UN PEU D’ORDRE DANS TOUT CELA ?

Ce n’est pas facile. Tout d’abord, cet historique est souvent implicite, les conflits larvés… Difficile pour un dirigeant d’y voir clair, ou de deviner les non-dits. Autre difficulté : certains chefs veulent être aimés ou, au moins, appréciés. Enfin, quand un manager débarque dans un groupe « historique », il doit gérer les anciens, ceux qui possèdent les codes, les valeurs de l’entreprise. Ce sont souvent ces derniers qui détiennent le véritable leadership.

CELA NE SEMBLE PAS TRÈS POSITIF…

Travailler sur le long terme avec les mêmes personnes favorise selon moi davantage de mal-être que de bien-être. On observe un fort taux de détresse psychologique chez ces individus qui se retrouvent piégés dans une entreprise, c’est souvent une fausse zone de confort que l’on peine à abandonner.

CELA VEUT-IL DIRE QU’IL FAUT S’OBLIGER À CHANGER D’ENTREPRISE TOUS LES CINQ ANS ?

D’entreprise, peut-être pas, mais de poste, absolument !

MAIS CELA PEUT AUSSI BIEN SE PASSER NON ?

Cela peut effectivement fonctionner dans un mode économique pérenne, où il existe une certaine stabilité, des plans de carrière bien définis.

LA NOUVELLE GÉNÉRATION ? SERA-T-ELLE APTE À TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS AU SEIN D’UN MÊME GROUPE ?

Elle possède un côté « clanique ». Ces jeunes sont, en outre, en quête d’intensité émotionnelle. On les regroupe en open space, on leur installe des baby-foot… Les frontières entre travail et vie privée s’estompent, la journée se poursuit par des afterwork, des fêtes. Il n’est pas rare
de voir apparaître des problèmes d’alcool ou de viol. Mais bien souvent, il ne s’agit pour eux que d’un passage avant d’entrer définitivement dans la vie adulte.

 

Source: mariefrance.fr