L`émancipation des femmes passe par l`éducation des hommes

Bientôt le 8 mars. Comme chaque année, les célébrations et conférences en l’honneur des femmes auront lieu partout dans le monde, dans la lignée de celle qui a été organisée par Le Monde Afrique et qui s’est tenue le 23 février à Paris. Il y aura toutes sortes de regroupements pour célébrer le progrès dans la lutte pour les droits et l’émancipation de la femme, et nombre d’articles pour nous rappeler la longue liste des problèmes auxquels elle est encore confrontée. Pour moi, la grande difficulté reste de concilier vie familiale et vie professionnelle. Je reviens sur une expérience vécue il y a quelques années car j’avoue que depuis je n’ai pas beaucoup avancé.

Il y a quelques années, une opportunité s’est présentée à moi : une affectation dans le bureau du Directeur Général de la compagnie dans laquelle je travaillais. J’avais été prévenue : les horaires seraient aléatoires et les imprévus nombreux, et, avec deux enfants en bas âge, cela pourrait être difficile de tout concilier. Sur le coup j’avais répondu avec enthousiasme: « pas de problèmes, je vais m’arranger » ! Mais après la frénésie des premiers temps, une fois seule face à la réalité, je me suis rendue compte des conflits que ce nouveau poste pourrait engendrer dans ma vie familiale. Il fallait décupler de moyens de persuasion pour convaincre mon conjoint de prendre la relève pour s’occuper régulièrement de la maison et des enfants.

A l’époque de nombreuses personnes me demandaient comment j’arrivais à jongler entre ma vie familiale et ma vie professionnelle. Et la réponse était sans équivoque : je n’y arrivais pas. J’avais simplement abandonné une grosse partie de mes responsabilités de mère. Par exemple je m’impliquais beaucoup moins à l’école de mes enfants, et, comme pour toutes les activités que j’avais dû abandonner, je me disais que c’était temporaire et que je pourrais me rattraper plus tard… Après trois années à ce rythme, c’est avec soulagement que je suis retournée dans une sphère plus calme de la compagnie où je travaillais. J’avais le contrôle de mes horaires et j’appréciais la flexibilité offerte par mon nouveau poste qui me permettait de passer plus de temps à la maison. Pourtant, même dans ce cadre plus relax, je trouve aujourd’hui encore des difficultés à gérer mon emploi du temps compte tenu des nombreuses activités parascolaires de mes enfants et des tâches domestiques. Je me demande souvent : combien de femmes arrivent à tout concilier ?

Autour de moi, c’est la même litanie. Beaucoup de mes amies qui sont dans la même situation se plaignent du stress constant. Stress au boulot, stress à la maison, pas de temps pour soi. La plupart ont du mal à s’en sortir même avec l’aide d’une nounou ou d’une femme de ménage à l’occasion. Même dans les couples où les hommes s’impliquent dans la gestion du ménage, la plus grande part de responsabilité pour gérer le foyer incombe toujours aux femmes. Les femmes ont obtenu leur émancipation et le même droit au travail que les hommes, mais les responsabilités domestiques qui leur étaient alléguées du temps où elles ne travaillaient pas n’ont pas été redistribuées pour inclure une participation plus active des hommes ! La société ne tient pas compte du fait que beaucoup de femmes travaillent autant que les hommes.

Le problème est épineux car beaucoup d’ hommes ne conçoivent pas de devoir s’impliquer dans les tâches ménagères. Beaucoup de ces hommes sont le produit de leur éducation (voir billet sur les « Hommes aux fourneaux« http://www.afriquefemme.com/fr/112- mariage/vie-de-couple/7363-les-hommes-aux-fourneaux-une-espece-en-voie-de-multiplication). Ils considèrent les charges domestiques (cuisiner, faire le ménage, s’occuper des enfants, etc.), comme relevant directement des responsabilités de la femme ou de la mère, sans pour autant intervenir dans d’autres domaines (le repassage par exemple !). Ils consentent à aider leur femme que lorsque celle-ci est à bout de force.

En ce qui me concerne, mon conjoint participe du mieux qu’il peut mais pas assez à mon goût. Parfois mon stress m’amène à envisager une vie de femme au foyer, pour un temps. Non pas qu’on puisse se le permettre financièrement, mais je ne peux m’empêcher d’en rêver à l’occasion, je regarde souvent avec envie les femmes au foyer que je connais. J’imagine leur vie de farniente : se recoucher après le départ du papa et des enfants, pouvoir regarder la télévision, faire du yoga ou du tennis, prendre des cafés interminables avec des amies désœuvrées comme elles, et préparer des mets copieux pour le retour de leur progéniture. Quelle erreur ! Tout cela n’est qu’une idée reçue de feuilleton-télé !

En réalité, les femmes au foyer travaillent tout autant que les autres, sinon plus encore, non seulement pour compenser moralement le manque à gagner financier du couple mais aussi pour se valoriser. Une de mes amies raconte qu’ elle fait chaque jour de son mieux pour maintenir son foyer, elle s’occupe des enfants et prépare des plats équilibrés pour sa famille. Mais en plus de ces occupations domestiques, elle est très engagée à l’école de ses enfants, elle fait aussi du volontariat dans son église et dans sa communauté. Beaucoup de femmes actives regardent avec envie voire avec dédain les femmes au foyer, mais elles devraient y regarder de plus près. J’avoue que rester à la maison n’est pas forcément la solution.

Le manque de temps est une des grandes causes du stress dans notre vie d’aujourd’hui, surtout en Occident. Si je compare ma situation à celle de ma mère qui est une femme active en Afrique, avec 6 enfants, je ne me rappelle pas l’avoir vue stresser autant que je le suis avec 2 enfants. Ma mère est, et a toujours été, engagée dans la communauté, au village, dans des associations diverses, et tout cela n’aurait pas été possible sans une certaine quantité de temps libre, dont dispose encore un certain nombre de femmes en Afrique actuellement. La disponibilité de la main d’œuvre à moindre coût permet de s’entourer d’aide et de trouver du temps libre. Une femme de ménage, un chauffeur, un cuisinier, restent accessibles à beaucoup de femmes africaines. Du coup elles se permettent de nous juger, nous autres stressées en Occident, comme d’éternelles râleuses agitées ! Une cousine au pays, sans mauvaise intention, se moque toujours de ma façon de marcher « demi-courir », sans comprendre que c’est devenu une seconde nature ! Je n’y peux rien, la vie aux Etats-Unis m’a transformée en robot «multitasker », toujours à vouloir gagner du temps.

Parfois, mon esprit stressé me joue des tours au point de m’imaginer dans des situations considérées peu enviables! Je ne vais pas faire ici l’apologie de la polygamie, mais je suppose que l’effort à faire pour gérer un foyer quand il y a 2 ou 3 femmes présentes doit bien être bien moindre que lorsqu’on est seule ! Si à quelque chose malheur est bon, c’est bien le partage des tâches que devraient favoriser le partage d’un foyer ! Mais reprenons nos esprits, la solution n’est clairement pas là non plus. Au bout du compte, que ce soit dans un ménage monogame ou polygame, il faudrait l’implication de toutes les parties pour trouver une solution au problème. J’invoque ici la responsabilité des hommes.

Sans aucun doute, l’effort des femmes pour gérer le foyer doit trouver écho chez leur conjoint. Il faudrait une réelle sensibilisation pour que les hommes reconnaissent qu’il est temps de redistribuer les tâches domestiques de manière équitable. De leur côté, les femmes doivent elles aussi réadapter la façon d’appréhender leur rôle dans le couple, pour encourager leurs conjoints à s’impliquer davantage. Nous devons accepter de prendre part aux tâches qui jusqu’ici étaient « réservées » aux hommes. Quand je fais la cuisine, mon conjoint fait la vaisselle et c’est un arrangement naturel dont nous n’avons jamais discuté. Je devrais également trouver normal de tondre le gazon ou d’emmener la voiture pour une vidange chez le mécanicien, pourtant ce n’est pas toujours le cas !

La redistribution des tâches ne pourra se faire qu’en rejetant les anciens stéréotypes de part et d’autre. Il ne s’agit pas de voter des lois, mais d’opérer un changement des mentalités. A en croire les conseils de Sheryl Sandberg, Directrice des opérations de Facebook et auteure de Lean In (« En Avant Toutes ») c’est aussi une question de survie du couple. Dans un article paru dans le New York Times, elle recommande aux hommes de s’engager autant dans leur foyer que dans la salle de leur Conseil d’Administration. Parmi les bénéfices, ils apprécieraient sûrement les effets dans leur chambre à coucher ! Voilà qui devrait en motiver plus d’un !

 

Djifa Nami (Ambassadrice Afriquefemme)
Togo