Les femmes sont sous-représentées dans la recherche

A l'occasion de la remise des prix L'Oréal-Unesco pour les femmes dans la science. En 20 ans, le nombre de chercheuses en sciences dures n'a presque pas progressé. « Je suis une pessimiste active », lâche Claudine Hermann d'une voix enjouée. Celle qui fut l'une des rares femmes enseignantes à Polytechnique continue de consacrer une bonne partie de sa vie de retraitée à se battre pour que les jeunes filles se dirigent vers les filières scientifiques et qu'elles accèdent ensuite aux plus hautes responsabilités.

Un combat de titan car cela fait des années que l'on déplore le trop faible nombre de filles dans les écoles d'ingénieur, dans les filières scientifiques dites dures ou dans les laboratoires. Mais la situation n'évolue qu'imperceptiblement. Si la remise des prestigieux prix l’Oréal-Unesco donne un magnifique coup de projecteur à cinq grandes scientifiques (une par continent), il est aussi l'occasion de souligner les maigres progrès enregistrés ces dernières années. Une enquête effectuée par le BCG (Boston Consulting Group) montre ainsi qu'entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, on est passé de 26 % de femmes parmi les chercheurs dans les grandes nations occidentales, à seulement 29 %. En France, pas de quoi pavoiser, alors que les autorités viennent de parapher leur troisième convention pour l'égalité des chances.

Le constat est à peu près toujours le même: jusqu'au lycée, il y a à peu près autant de garçons que de filles dans les filières scientifiques rapporte le BCG. Mais par la suite, l'écart ne cesse de se creuser. Pour les seuls pays européens les postes les plus élevés sont occupés à 89 % par des hommes, et seulement 11 % de femmes. «Il n'y a en France que 16,1 % de femmes professeurs d'université en sciences et techniques, ajoute Claudine Hermann, et si l'on suit la croissance constatée depuis 1981, il faudra attendre 2138 pour atteindre la parité!» ironise celle qui est aussi présidente d'honneur de l'association Femmes et science.

Le CNRS n'échappe pas à la règle. «La proportion de femmes qui y travaillent est certes supérieure à 42 %, mais lorsqu'on parle de chercheuses, elles représentent moins d'un tiers du personnel. Et en mathématiques, elles ne sont plus que 16 %», souligne de son côté Anne Pépin, directrice de recherche en charge de la mission pour la place des femmes. Le CNRS n'a eu dans toute son existence que deux femmes pour le diriger.

De nombreuses études ont analysé les causes de ces distorsions. Ainsi au collège une expérience a montré qu'il suffisait devant une figure de préciser qu'il s'agissait d'un exercice de géométrie pour que les garçons soient meilleurs. À l'autre groupe témoin, à qui l'on a dit qu'il s'agissait d'un jeu de dessin, les filles ont eu de bien meilleurs résultats. «Pour un exercice très complexe en maths, de niveau ingénieur, il a suffi d'annoncer qu'il s'agissait d'un exercice très difficile pour que les garçons aient de meilleurs résultats. Au groupe à qui l'on a expliqué que jamais les filles n'avaient eu des résultats différents de ceux des garçons, alors filles et garçons ont obtenu les mêmes résultats», raconte la jeune femme. Autant de problèmes liés aux représentations culturelles, aux schémas introduits dès l'enfance selon lesquels les sciences sont une affaire d'homme. « Cela traduit également un manque de confiance en soi », souligne la lauréate américaine Laurie Glimcher, l'une des lauréates 2014 du prix L'Oréal-Unesco et première femme à occuper le poste de doyenne d’une faculté de médecine à de New York.

Le grand écart sur le nombre de prix Nobel

Toutes les lauréates du prix L'Oréal-Unesco en conviennent. Les difficultés ne s'arrêtent pas à l'école. Comment en effet concilier un début de carrière qui exige énormément de travail, de publier ces travaux, de voyager… Et la volonté au même âge de fonder une famille et d'avoir des enfants. « Je dis à mes jeunes consœurs d'habiter près de leur famille», poursuit l'Américaine, qui a eu trois enfants et des parents toujours à proximité, en plus des nounous. «Les hommes ont les mêmes responsabilités familiales que nous, mais pas la même culpabilité », ajoute-t-elle. C'est peut-être le contre-exemple de sa mère, « contrainte d'abandonner sa carrière parce qu'elle a eu six enfants », qui a conduit Cecilia Bouzat, lauréate argentine, à ne rien sacrifier : travail et famille avec le soutien de son mari. « Où sont les modèles pour les jeunes chercheuses? » demande de son côté Segenet Kelemu, lauréate pour l'Afrique et directrice du Centre international de physiologie et d'écologie des insectes au Kenya.

Le summum de l'écart entre homme et femme intervient avec les Nobel en sciences : 5 sur 132 depuis quinze ans. Mais compte tenu de tout ce qui se passe avant d'en arriver là, les nobélisables sont peu nombreuses. Une étude récente publiée montre en outre que pour un même curriculum présenté pour un poste de directeur de laboratoire, le supposé candidat «John» recevait systématiquement un meilleur accueil que lorsque le CV était attribué à une «Jennifer». Même quand la sélection est faite par une femme! Le chemin pour changer les choses est encore long.

Source : lefigaro.fr