Norah : ''excisée à 6 ans, je reviens de loin''

Installée à Laval et originaire d’un pays d’Afrique de l’Ouest, Norah , 30 ans, a subi, enfant, une mutilation qui l’a marquée à jamais. Elle se bat, depuis, pour que cesse cette pratique d’un autre âge.

« Dans notre ethnie, l’excision se pratique en général vers l’âge de 5 ans. Moi, mes parents n’étaient pas pour, mais on m’a excisée à leur insu. Cette journée-là, je m’en souviens parfaitement. J’allais bientôt avoir 7 ans. C’était la saison des pluies. On jouait avec ma copine, dehors, dans la rue. Une voisine et ma tata sont venues nous trouver. Elles nous ont amenées au dispensaire, en nous disant qu’une de leurs copines avait accouché. On les a suivies en toute confiance.

Quand on est arrivées, il y avait au moins une dizaine de filles allongées par terre. Des ados déjà opérées qui ne pouvaient pas tenir dans un lit et qui hurlaient de douleur. Parce que, bien sûr, tout ça, c’est sans anesthésie. Quand j’ai vu ça, j’ai pris peur. J’ai essayé de m’enfuir, mais ma tata et plein d’autres voisines m’ont rattrapée.

Un guet-apens

C’était un véritable guet-apens. Comme j’étais très agitée, je suis passée la première sur la table. Il y avait six adultes qui m’appuyaient de tous les côtés pour que je ne bouge pas. Je hurlais. J’avais peur. La sage-femme a pris une lame et m’a dit de serrer les dents fort. Elle m’a aussi dit « sois forte, pleure pas », mais j’ai pleuré quand même. C’est considéré comme de la faiblesse, mais j’ai souffert. J’avais tellement mal, que je ne me souviens pas de la suite. Juste de ma copine qui hurlait de douleur. On a quand même eu un peu de chance, si on peut appeler ça de la chance : à l’hôpital, ils vous enlèvent un bout à peu près proprement alors que, dans la brousse, les filles se font exciser avec des lames de rasoir, des couteaux et ils enlèvent tout.

Quand je suis rentrée à la maison, mes parents étaient sous le choc. Mon papa a porté plainte, mais ils l’ont pris pour un fou. Le lendemain, la sage-femme est revenue pour me donner une douche et enlever la compresse qui couvrait ma plaie. Comme elle ne se décollait pas, elle l’a arrachée. J’ai fait une hémorragie, il y avait du sang qui jaillissait de partout. La chance, c’est qu’on habitait tout près de l’hôpital. Je suis vraiment revenue de loin.

Il y a un an et demi, je suis retournée au pays avec ma fille née en France. J’avais vraiment des craintes, car ce ne sont pas mes parents qui sont à l’origine de mon excision. Ma fille avait 7 ans et je ne lui lâchais jamais la main. Même quand elle allait jouer dehors, ma mère ou moi, on était tout le temps là. La tata qui m’avait tendu le guet-apens est revenue me voir. Elle m’a demandé ce que je comptais faire pour ma fille. Je lui ai expliqué que j’étais contre et que je risquais 20 ans de prison en France si ma fille se faisait exciser. Je lui ai dit qu’elle, elle aurait aussi des problèmes avec l’ambassade de France. Et aussi que si j’allais en prison, je ne pourrais plus envoyer d’argent pour aider la famille…

Des séquelles à vie

Je n’en veux pas à ma tata. Mais j’en veux aux parents de maintenant. Ils savent que l’excision laisse des séquelles à vie, que c’est un cauchemar. Et même si, officiellement, c’est interdit, tout le monde le fait. Mais ce n’est même pas dans la religion. Scientifiquement, ça sert à rien. C’est juste qu’ils s’imaginent qu’autrement une fille va courir derrière tous les hommes, coucher avec tout le monde… Comme si le fait de ne pas avoir de plaisir, ça obligeait à être fidèle.

Je suis un peu une rebelle dans la communauté, parce que je parle. Mais je témoigne juste pour éviter que ça n’arrive à d’autres fillettes. Si ça peut permettre à une petite fille, même une seule, d’échapper à l’excision, mon combat ne sera pas perdu. Quand j’ai subi de la chirurgie réparatrice, il y a deux ans, à Paris, je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir autant de filles à l’hôpital. Et tout ça pourquoi ? Franchement, je ne le sais pas. »