Femme battue, elle se confie

C’était son premier amour. Sept ans d’une relation vite rythmée par les violences et les condamnations. Aujourd’hui semble être le temps de la prise de conscience. Témoignage. Ils ont grandi dans la même rue. Il a quatre ans de plus qu’elle.

Jeunes, Fabrice et Anne (prénoms d’emprunt) ont vite été confrontés au pire : la fuite précoce du père pour elle, le décès prématuré de la mère pour lui. « C’était il y a sept ans : j’avais 16 ans, lui 20, raconte Anne. On avait des amis en commun. On est sortis en boîte. Et ça a commencé. » Le premier amour, celui qui déflagre tout sur son passage. « Je ne suis plus allé en cours et lui n’allait plus au travail. Impossible de se quitter. On était dans notre bulle. C’était trop beau. L’homme de ma vie. » Quelques semaines plus tard, les premiers nuages arrivent sous forme d’élans de jalousie. « Je ne voyais plus trop mes copines, j’ai arrêté le basket. » La « bulle » se rigidifie. « Il avait peur que je l’abandonne, je crois (…) On faisait souvent la fête, on buvait beaucoup, moi je commençais ma jeunesse, je voulais découvrir mes limites. Il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. » Après les vendanges, le couple part en vacances. « Là, il y a eu des pétages de câbles, des téléphones cassés, il avait fait son sac pour partir du camping, je hurlais pour le retenir (…) Ma mère m’a mis en garde et je l’ai quitté. »

« J’étais folle amoureuse »

Suivent des appels téléphoniques répétés et souvent menaçants de Fabrice. Une soirée entre amis les remet dans la même pièce. « Il m’a sauté dessus ; ses copains l’ont attrapé en nous séparant : Mais qu’est-ce que tu fais ? Je n’en pouvais plus, je voulais porter plainte. Le commissariat était à 500 mètres, j’y suis allée, il m’a suivie. Il m’a jetée au sol et frappée. Je n’ai pas compris ce qui se passait, j’étais mal, je suis partie, il me suivait en me disant : Je suis désolé, je n’aurais jamais dû faire ça. Je pleurais, j’étais choquée. » Une plainte est déposée, « mais au fond de moi, je n’avais pas envie ». Anne et Fabrice se retrouvent pour la première fois au tribunal il y en aura d’autres. Sursis pour Fabrice. « J’étais folle amoureuse, je culpabilisais, j’avais besoin de ses bras pour me réconforter, je me rendais chez lui la nuit, il y avait de l’interdit, c’était un truc de dingue, la passion, je mentais à tout le monde. » L’engrenage du « je te frappe-je m’excuse-je t’aime » revient au galop.

Coups-plainte-condamnation, encore et encore. Nouvelle audience : huit mois de prison pour Fabrice. « C’était un soulagement. J’avais peur mais j’avais besoin de lui », se souvient-elle. On insiste : pourquoi revenir dans les bras de son bourreau ? « C’était physique… C’était le plus beau. Je croyais encore qu’il allait changer. » Anne, plus sereine, a repris le chemin du lycée. Mais Fabrice, sorti de détention, revient dans son paysage via les réseaux sociaux. Sans doute sincère, il l’affirme : « J’ai changé. » Deux mois plus tard, lors d’une fête arrosée, Fabrice s’en prend en public à Anne. « Il m’a défoncée devant tout le monde et il a déplacé la clavicule d’un pote qui s’interposait. J’ai fini enfermée dans les toilettes. » Retour en enfer. « Je ne pleurais pas, je ne me confiais à personne… J’ai laissé tomber certains amis. Le week-end, je picolais et j’allais en boîte, peut-être pour avoir le regard des autres. Je m’enfermais sur moi-même mais il était dans ma tête. » Appels menaçants et violences rythment cette relation toxique.

« Combien de fois j’ai entendu  : T’es morte  ? Ma manière de lui faire du mal pour lui rendre la monnaie de sa pièce, c’était de le quitter après, il pleurait, menaçait de se suicider. Mais à chaque fois, j’y retournais. Nous avions quand même des bons moments, apaisés. Mais quand on se disputait, il n’y avait aucune limite. » À la veille d’une nouvelle condamnation (assortie comme souvent d’une obligation de soins pour l’alcool et une interdiction de contact avec Anne), Fabrice passe la nuit avec Anne. C’était un 13 février, veille de Saint-Valentin. « On l’a dit à l’audience, le juge a vu à quel point notre relation était malsaine. » Anne finit par s’user : « À un certain point, je ne ressentais plus rien, bien ou mal. Je n’avais plus d’humeur puis, à force, des crises de panique. J’avais peur de ne plus pouvoir me contrôler, je rêvais de la mort. »

« Peur d’être toute seule »

Les années passent, celles, dixit Anne, « d’une adolescence gâchée ». En janvier dernier, celle qui est devenue une jeune femme en vient à défendre Fabrice devant les juges. « Je disais que j’étais trop jalouse… », regrette-t-elle. Fabrice écope de dix mois ferme. « Ça fait sept ans qu’on ne doit plus s’approcher », sourit celle qui concède « avoir peur d’être toute seule ». Durant l’été, un énième épisode de violences nécessite l’intervention de la police. Pour la première fois, Anne est frappée au visage. Deux jours plus tard, Fabrice, condamné, retourne derrière les barreaux. Le temps de la prise de conscience : « Au fond de moi, je n’ai plus confiance. J’avais changé pour lui, mûri. J’ai réalisé que j’avais tout tenté. Il profitait de moi, on se faisait du mal.

J’ai fini par pouvoir me dire : Tu es victime de violences conjugales. De voir mon visage dans la glace, ça me faisait penser aux affiches qu’on voit à propos des femmes battues. Le lendemain des dernières violences subies, je marchais dans la rue en cachant le visage et j’ai croisé une femme, blonde, belle, une top modèle. Elle m’a dit C’est ton mari ? J’ai vécu la même chose. Ça m’a mis les larmes aux yeux, direct. Deux jours plus tard, après l’audience, je suis allée attendre devant le bureau du Mars. Il y avait une femme assise, elle aussi victime de violences. À force d’attendre, elle a fini par se lever : Allez, je vais voir mon monstre. Elle m’a dit que ça durait depuis 41 ans. Et elle est repartie. Voilà… Aujourd’hui, je veux vivre ma vie. Je suis sûre que le meilleur reste à venir. »

 

Source: lunion.fr